L’Institut du Québec remet les pendules à l’heure en immigration

Selon le rapport, le taux de rétention au Québec sur cinq ans est de 84,3%, en amélioration par rapport à il y a 15 ans.
Photo: François Pesant Archives Le Devoir Selon le rapport, le taux de rétention au Québec sur cinq ans est de 84,3%, en amélioration par rapport à il y a 15 ans.

Parce que plusieurs données sur l’immigration sont semées à tort et à travers en cette campagne électorale, l’Institut du Québec (IdQ) a cru bon de remettre les pendules à l’heure en publiant une « mise à jour » pour clarifier certaines informations. Car si certains politiciens confondent encore des statistiques, d’autres ne prennent pas le soin de les mettre en contexte.

L’IdQ travaille sur les thèmes de l’intégration des immigrants au marché du travail depuis un certain temps, mais a senti une certaine urgence à préciser certaines données. « En voyant à quel point c’est devenu important dans les élections, surtout la question des seuils migratoires et la rétention, […] on a senti que notre mission était de sortir rapidement », a dit Mia Homsy, directrice de l’IdQ, auquel s’associent le Conference Board du Canada et HEC Montréal. « Je ne suis pas certaine des chiffres que [les chefs de partis] utilisent. Je vois aussi qu’ils essaient d’en éviter certains… ce n’est pas toujours clair. »

Le taux de rétention

 

Mme Homsy invite à ne pas confondre « solde migratoire net », qui est la somme de la migration internationale (entrées et sorties) et de la migration interprovinciale (entrées et sorties) qu’on soit immigrant ou natif, et taux de rétention, qui mesure le nombre d’immigrants encore au Québec plusieurs années après leur arrivée. Ce que pourrait avoir fait le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, qui se plaît à répéter que, des 50 000 immigrants qu’il accueille, le Québec en perd 13 000. Parle-t-il du solde migratoire net, qui est de 12 600 ?

 

M. Legault pourrait avoir plutôt fait allusion aux 26 % d’immigrants qui ont quitté le Québec, mais, dans ce cas, il omet de préciser que c’est entre 2006 et 2015 (soit sur 9 ans). Ce qu’il ne dit pas non plus, c’est que ces chiffres sont du ministère de l’Immigration et se basent sur les renouvellements de la carte d’assurance maladie, qui ne tiennent pas compte des décès et des non-renouvellements volontaires.

Les chiffres publiés par l’Institut du Québec, qui se basent sur les déclarations de revenus, ont une connotation beaucoup plus positive : seulement 18 % des immigrants arrivés entre 2005 et 2015 auraient quitté la province. Et le Québec se classe 4e au Canada pour son taux de rétention. « J’avais en tête que c’était catastrophique, mais on n’est quand même pas si loin de l’Ontario », a déclaré Mme Homsy. Selon le rapport, le taux de rétention sur cinq ans est encore plus encourageant, soit 84,3 %, et il constituerait une nette amélioration par rapport à il y a 15 ans.

Peu de francophones

 

Le chef de la CAQ et celui du Parti québécois, Jean-François Lisée, ont aussi répété que trop peu d’immigrants (42 %) parlent français à leur arrivée au Québec. Or, ils omettent souvent de préciser que cette donnée est pour 2017 seulement, année où le Québec a reçu beaucoup de réfugiés. En 2016, 48 % des personnes qui arrivaient ici parlaient le français, et en 2015, 56 %.

 

Brahim Boudarbat, professeur à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, fait remarquer que, pour avoir l’heure juste, il faudrait uniquement s’intéresser à la catégorie des immigrants économiques, car ce sont eux qui sont sélectionnés avec, notamment, le critère de la langue française. Et là, toutefois, les politiciens n’auraient pas tort de s’alarmer sur la proportion d’immigrants francophones, qui sont en diminution constante depuis ces dernières années, passant de 67 % en 2012 à 53 % en 2016. « Ça, c’est un problème, puisqu’on voit que ça baisse », dit-il. Le ministère de l’Immigration a reconnu qu’elle avait admis un plus grand nombre de personnes déclarant uniquement connaître l’anglais, notamment parce que l’adéquation entre les besoins du Québec dans certains secteurs d’emploi et les compétences des travailleurs migrants était devenue plus importante que le seul critère de la langue.

Seuils et chômage

 

M. Boudarbat fait remarquer que les partis parlent peu de régionalisation, mais débattent beaucoup des seuils d’immigration. « On s’attendrait à ce que les libéraux, qui ont un discours de pénurie de main-d’oeuvre, parlent d’augmenter les seuils, mais ils ne le font pas. Moi, j’interprète ça comme une réduction », indique le professeur. « Dans sa tête, [le chef Philippe Couillard] pense sans doute à 60 000-65 000, mais il ne le dit pas, parce qu’il serait obligé de le justifier, comme le font les autres partis. »

Pour sa part, le chef de la CAQ justifie son intention d’accueillir moins d’immigrants en répétant que le taux de chômage parmi cette population est de 15 % dans les cinq premières années. Or, s’il est effectivement de 14,1 %, comparativement à 9,1 % en Ontario, ce taux a tendance à diminuer, étant donné la conjoncture économique favorable. Après avoir oscillé entre 10 % et 13 % depuis 2007, le taux de chômage des immigrants âgés de 25 à 54 ans atteignait 8,7 % l’an dernier. « Les employeurs vont désormais considérer un CV d’immigrant qu’ils auraient peut-être mis sous la pile il y a 15 ans, voyant que leur production est compromise », avance Mia Homsy.

Pour un portrait plus juste de la situation, les politiciens devraient toutefois s’intéresser de plus près à certaines données qui ne ressortent pas souvent, soit le taux de surqualification et la provenance des immigrants. « Les gens des pays musulmans ont un taux de chômage plus élevé », rappelle M. Boudarbat.

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