Les motos bruyantes dans la mire de Québec

Faire du bruit à moto au Québec pourrait devenir chose du passé. Du moins, si le gouvernement passe comme prévu à l’action et pérennise l’utilisation des sonomètres pour mesurer les décibels crachés par les pots d’échappement des bolides à deux roues. Mais les associations de motocyclistes s’inquiètent.
Officiellement, il est interdit de circuler avec un véhicule dont le silencieux ou tout autre élément du système a été modifié pour émettre plus de bruit que ce qui est prévu par le fabricant. La limite de son permise est de 100 décibels, pour les voitures comme pour les motos. Au Québec, un motocycliste s’expose à une amende de 200 $ à 300 $ si son système d’échappement n’est pas conforme. Mais voilà : les policiers ne disposaient pas d’un outil fiable pour effectuer la mesure. Ils se fiaient à leur ouïe ou au test de la broche, consistant à entrer une tige métallique dans le pot d’échappement. Un policier ne rencontrant aucun obstacle – un « straight pipe » – concluait que le système avait été modifié.
En 2013, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a donc lancé un projet-pilote afin de tester l’utilisation de sonomètres. L’appareil, lorsqu’utilisé dans des conditions optimales (placé à 50 centimètres du pot d’échappement dans un angle de 45 degrés, le tout dans un espace dégagé), permet de déduire, à partir du son émis par le véhicule immobilisé, le son qu’il émet en accélération.
« La vérification du bruit des motos [par les fabricants] se fait avec des motos qui sont en accélération. Il faut être sur une piste et mettre les gaz à fond. C’est de cette manière que le bruit potentiel maximum est mesuré. Mais ce n’est pas réalisable par un policier sur le bord de la route. Donc ça prenait une méthode qui permet d’obtenir une validation, mais avec une moto arrêtée », explique au Devoir Benoît Lévesque, le professeur de génie mécanique de l’Université Laval qui a contribué à l’élaboration des paramètres du projet-pilote. « Il fallait s’assurer que le test ne génère pas de faux positifs », continue-t-il.
Le projet-pilote, d’une durée de cinq ans, s’est terminé en mai dernier. Au total, 2893 motos ont été vérifiées pendant cette période (le chiffre de 2017-2018 n’est pas encore disponible) et 1230 ont écopé d’une contravention, pour un taux d’infraction de 43 %. Quelque 224 policiers ont été formés pour utiliser les sonomètres.
Le projet-pilote a été jugé suffisamment convaincant pour que Québec le formalise. Sa plus récente modification au Code de la sécurité routière prévoit de pérenniser l’utilisation des sonomètres par les policiers. Cette mesure n’est toutefois pas encore entrée en vigueur : on attend le décret du gouvernement, qui surviendra lorsque le règlement encadrant l’utilisation du sonomètre sera développé. D’ici là, on est revenu aux bonnes vieilles méthodes de l’ouïe et de la broche.
Le bureau du ministre québécois des Transports, André Fortin, n’a pas répondu aux nombreux appels du Devoir pour indiquer à quel moment il entend promulguer l’entrée en vigueur des nouvelles règles.
La Fédération motocycliste du Québec, qui chapeaute quelques dizaines d’associations, s’inquiète de l’application future du règlement. « Si le policier a le droit de dire à quelqu’un d’aller passer le test dans un rayon de 15 kilomètres et qu’il doit le faire sur-le-champ, je trouve ça abusif », indique son directeur général, Jean-Pierre Fréchette. Il pense aux employés en route vers le boulot qui se verraient retardés ou encore à certains motocyclistes d’un groupe qui, invités à passer le test, « perdraient leur relation avec le groupe ».
Le professeur Lévesque rappelle que rien n’oblige les policiers à rabattre les motocyclistes à un point de contrôle éloigné. Le test peut se faire « à peu près partout ». En pratique, il reconnaît qu’il en va autrement. « On n’a pas besoin d’un grand dégagement. Mais en pratique, comme ça prend de l’équipement, il faut s’installer, il faut mettre le microphone dans un endroit stable, les policiers n’ont pas tendance à sortir le kit sur le bord de la route. Ils ont tendance à juste prendre le radar. »
Sécurité sonore
La SAAQ confirme qu’à l’an 1 du projet-pilote, 15 corps policiers utilisaient les sonomètres, mais qu’à l’an 5, ils n’étaient plus que 6 à le faire. « Les opérations sonomètre demandent beaucoup d’organisation, de logistique et de ressources humaines. Elles nécessitent de dégager des agents intercepteurs, des agents mesureurs qualifiés, de trouver un site d’opération sécuritaire qui n’amplifie pas le son, etc. », explique la porte-parole Sophie Roy.
M. Fréchette se demande s’il ne faudrait pas tout simplement faire passer le test de son une seule fois, lors d’une inspection pour l’immatriculation de la motocyclette, par exemple. N’y a-t-il pas un risque que les propriétaires modifient par la suite leur système d’échappement ? « Ils ne feront pas ça parce que changer de pot d’échappement, c’est coûteux, et que ça en prend un deuxième. »

M. Fréchette, comme bien d’autres motocyclistes, justifie le bruit de sa moto par la sécurité. Donner du gaz lorsqu’il se trouve dans l’angle mort d’un automobiliste lui a permis de se « faire voir », explique-t-il. Le professeur Lévesque rejette cette « fausse idée ». « Si la moto est moindrement loin, le bruit qu’on a à l’intérieur de l’habitacle en écoutant la radio, ça va couvrir le bruit de la moto. Parce que nos habitacles sont assez bien isolés. Il y a une bonne insonorisation. Si on entend une moto qui arrive, c’est parce qu’elle est très, très bruyante. »
Le maire de Venise-en-Québec, Jacques Landry, se moque lui aussi de cet argument. « J’ai une Goldwing. Ça fait moins de bruit qu’une voiture. Ça ferait longtemps que je serais mort si c’est le bruit qui m’avait défendu. »
M. Landry se bat depuis 2011 contre les motocyclistes qui font du bruit dans sa petite municipalité aux abords du lac Champlain, sorte de destination obligée des motocyclistes. Les associations de motocyclistes l’ont menacé de ne plus venir dépenser leur argent chez lui. « Ta bière, va la prendre ailleurs si tu es pour déranger tout mon village parce que tu prends de la bière, relate-t-il leur avoir répondu. Moi, chez nous, les gens payent des taxes municipales. Ils en payent pas mal plus que ta bière et ils ont le droit d’avoir une certaine quiétude. Ce n’était pas populaire trop trop quand j’ai commencé, mais les autres maires de la MRC ont embarqué avec moi pour faire de cela une priorité dans la région. »
M. Landry estime que les contrevenants doivent être punis différemment. « Souvent, les gens qui ont ces motos-là ont les moyens financiers. Il faut donner des points d’inaptitude. Ça fait bien plus mal que 150 $ d’amende. Si on est capable de donner cinq points d’inaptitude pour quelqu’un qui parle au téléphone, on est capable d’en donner deux ou trois à celui qui fait du bruit. »
Moins d’interventions
