Sans climatisation, pas de salut?

Y a-t-il de la fraîcheur — sans climatisation — au bout de la canicule ? Un épisode de chaleur accablante vient de traverser le Québec, précipitant la mort de plus de 50 personnes jusqu’à maintenant. Même si la vague des températures élevées s’apaise, des indicateurs montrent que le nombre de jours où le mercure montera au-dessus de 30 degrés est appelé à croître*. Comment rafraîchir nos espaces, intérieurs et extérieurs, sans avoir recours à la climatisation ?
« Ma climatisation a fait défaut. J’ai essayé de la faire réparer, mais les réparateurs sont complètement débordés ! J’ai essayé de mettre en pratique ce que je pensais être des recettes, pas nécessairement infaillibles, mais qui allaient permettre de ne pas trop souffrir. Ça ne marche pas très bien », concède Denis Boyer, d’Écohabitation, soulignant la situation particulière des derniers jours.
Il est toutefois possible d’agir en respectant le principe de base visant à empêcher le soleil de pénétrer à l’intérieur et en évitant toutes les sources de chaleur, soutient le coordonnateur en efficacité énergétique.
M. Boyer fait observer qu’ouvrir les fenêtres n’est pas toujours la bonne solution. En fait, il y va d’un constat un peu fataliste : sans « machine », impossible (ou presque) d’avoir moins chaud. Si on n’utilise pas un climatiseur, le bon vieux ventilateur serait la solution la plus efficace.
Mais, « quand tout le monde démarre la climatisation, ça contribue à augmenter d’au moins un degré et demi la température générale en ville et à aggraver les effets de la canicule sur ceux qui n’ont pas les moyens de s’en prémunir », faisait remarquer Pierre Gosselin, médecin-conseil à l’INSPQ, au cours d’une entrevue accordée au Devoir il y a quelques étés.
L’architecte et professeur à l’Université de Montréal Daniel Pearl croit qu’il est important de trouver des solutions autres que la climatisation pour réduire les effets de la chaleur dans les bâtiments. Parce que la climatisation utilise beaucoup d’énergie — dont les coûts sont trop bas au Québec, selon lui — et parce qu’il est simplement plus efficace de bloquer le problème au départ que de le traiter une fois qu’il se présente, affirme-t-il.
Des options
La première stratégie pour contrer les effets de la chaleur dans les bâtiments consiste à protéger les fenêtres et les murs extérieurs. Un store extérieur, par exemple, est très efficace, selon M. Pearl. « Ça existe beaucoup en Europe et dans les pays très chauds. Un store intérieur est moins efficace parce que la chaleur traverse la fenêtre et reste dans la pièce, même si c’est partiellement bloqué par les rideaux. »
Le store intérieur a une efficacité d’environ 30-35 %, affirme l’architecte, tandis que l’efficacité du store extérieur grimpe à 90 %. Des marquises ou auvents extérieurs, ou encore une meilleure isolation des murs et des fenêtres, à triple vitrage par exemple, sont d’autres options.
Une autre solution consiste à refroidir la masse thermique de la maison. Un système de tuyaux où circule un liquide (mélange d’eau et de glycol) refroidi par géothermie, par exemple, en fait partie.
Plaidoyer pour la verdure
La troisième solution proposée par l’architecte de la firme L’OEUF est la végétation. Daniel Pearl souligne qu’en plus d’être « très efficace », la verdure (arbres, toits verts, murs végétalisés) a l’avantage de procurer du plaisir et de permettre de développer la biophilie. Un toit vert peut réduire la température de 5 à 10 degrés, avance-t-il.
Ces solutions doivent cependant être mises en place avant les épisodes caniculaires, rappelle Daniel Boyer. « Mettre des plantes à l’extérieur devant ses fenêtres peut contribuer à réduire la température de la maison, mais évidemment, si on est pris dans la canicule, il est trop tard ! On ne peut pas faire pousser une plante en deux heures. Il faut prévoir. »
Pour la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, Véronique Fournier, la canicule qui a frappé le Québec ces derniers jours « nous dit qu’on a trop d’espaces minéralisés, donc asphaltés [dans nos villes], et pas assez de verdissement ou d’espaces naturalisés ». Elle fait elle aussi l’éloge de la verdure pour contrer les températures extrêmes.
Les arbres matures, ces « climatiseurs naturels », comportent plusieurs avantages. En plus de rafraîchir l’air, « ils vont avoir un impact sur la gestion des polluants atmosphériques et permettre de créer des surfaces ombragées. Ils font aussi en sorte que les revêtements captent moins la chaleur », explique Mme Fournier.
Dans les cas où la plantation d’arbres n’est pas possible, d’autres options existent, comme le recours aux plantes grimpantes le long des murs ou des clôtures, ou l’installation de pergolas.
Depuis quelques années, « on va dans le bon sens [en ce qui concerne le verdissement] », reconnaît Emmanuel Rondia, responsable campagnes Espaces verts et milieux naturels au Conseil régional de l’environnement de Montréal (CREMTL). « Il y a une prise de conscience. On comprend les conséquences qu’ont les îlots de chaleur, leur impact sur la santé. Maintenant, il faut que des mesures soient adoptées plus largement et que ça ne soit pas uniquement des projets-pilotes ou des initiatives dans certains secteurs. Il faut que ça soit une approche globale. »
Les prochains sujets à aborder sont « la question de l’asphalte, la minéralisation de nos espaces et, indirectement, la question de la voiture à travers tout ça », indique de son côté Véronique Fournier.
Depuis 2015, le CREMTL coordonne la campagne ILEAU (Interventions locales en environnement et aménagements urbains), qui, en plus d’aborder l’enjeu des îlots de chaleur et de créer du verdissement, vise à relier le fleuve Saint-Laurent à la rivière des Prairies, dans l’est de Montréal, par une trame verte.
Un des projets développés cherche à relier les parcs de la promenade Bellerive et Thomas-Chapais. « On a réuni les propriétaires majeurs dans le secteur pour réfléchir au trajet et aux aménagements à apporter, explique Emmanuel Rondia. Ça crée un mouvement plus intéressant et les gens se sentent engagés dans quelque chose de plus grand que de juste aménager leur propre terrain. »
Selon M. Rondia, créer un tel réseau d’espaces verts est plus efficace pour réduire les îlots de chaleur, en plus de « donner des leviers intéressants pour convaincre certains propriétaires ».
Appels à la solidarité
Pendant la canicule des derniers jours, les autorités publiques ont lancé plusieurs appels à la solidarité — veiller sur le bien-être de son voisin, particulièrement s’il fait partie des populations jugées vulnérables. Un volet citoyen et participatif fait d’ailleurs partie de la mission du Centre d’écologie urbaine de Montréal, dont les interventions visent à créer des milieux de vie. Les projets de verdissement peuvent ainsi accomplir un double mandat : créer de la fraîcheur et du lien social.
« Je n’aurais pas la prétention de dire qu’il y a un lien direct dans des situations d’urgence, mais une ville où il y a plus de solidarité est plus résiliente lors des événements [comme la canicule], souligne Véronique Fournier. Plus de nature en ville, c’est une stratégie de prévention à la fois pour les épisodes de chaleur et pour la qualité de vie. »
*Selon les données d’Ouranos, le Consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques, le nombre de jours par année au-dessus de 30 °C passera de 11 (médiane pour 1981 à 2010) à 30 (médiane pour 2041-2070) à Montréal et Laval, selon un scénario «modéré».