Des chercheurs mesurent l'exposition des cyclistes à la pollution

Le Devoir part cet été à la rencontre de chercheurs qui profitent de la belle saison pour mener leurs travaux sur le terrain. Aujourd’hui, la série Grandeur nature se penche sur l’exposition des cyclistes à la pollution.
Le chercheur Philippe Apparicio et son équipe ont un drôle d’équipement pour des cyclistes : ils roulent avec un sonomètre attaché à leur chandail pour capter les bruits ambiants. Ils portent aussi un maillot intelligent qui mesure le volume d’air aspiré et le rythme cardiaque, une caméra vidéo, une montre GPS, un téléphone intelligent et un sac de batteries pour alimenter tous ces appareils.
Ces scientifiques à vélo parcourent une série de grandes villes du monde, y compris Montréal, pour mesurer l’exposition des cyclistes à la pollution de l’air et au bruit. Leur but : déterminer les endroits en ville où les adeptes du vélo sont le plus — et le moins — exposés à la pollution. Et conseiller les urbanistes sur les meilleurs aménagements de voies cyclables pour la santé des cyclistes.
Ils ont même comparé les temps de déplacement entre trois moyens de transport pour se rendre au centre-ville de Montréal. Résultats : les déplacements à vélo aux heures de pointe sont aussi rapides (ou presque) qu’en voiture ou en transports en commun. Mais les cyclistes aspirent trois à quatre fois plus de polluants dans l’air que les automobilistes à cause du rythme accéléré de leur respiration dû à l’activité physique.
« La situation des cyclistes n’est pas alarmante à Montréal. Les bénéfices du vélo surpassent largement les risques pour la santé, même en tenant compte du fait que les cyclistes absorbent plus de polluants à cause de l’activité physique », dit Philippe Apparicio, de l’Institut national de recherche scientifique (INRS).
Lui et son équipe du Laboratoire d’équité environnementale passent une partie de l’été à sillonner les rues du Grand Montréal à vélo (y compris Laval et Longueuil) pour raffiner leurs recherches sur l’exposition des cyclistes à la pollution. Ils iront aussi à Copenhague, considérée comme la capitale mondiale du vélo, pour constater l’effet des aménagements cyclables sur la santé des cyclistes. Ils planifient aussi des déplacements à vélo à Pékin et à New Delhi, deux des villes les plus polluées au monde.
« À Mexico, on roulait huit heures par jour et on était tous en crise d’asthme à la fin de la journée. Deux de nos collègues avaient des symptômes d’asthme même si elles ne sont pas asthmatiques. Ce n’est pas du tout le cas à Montréal », raconte Philippe Apparicio.
Efficace à deux roues
Jusqu’à maintenant, les nouvelles sont bonnes pour les Montréalais qui se déplacent à deux roues. L’air et les niveaux de bruit sont meilleurs qu’à Paris, à Mexico ou à Ho Chi Minh-Ville, par exemple. De plus, le vélo est un moyen de transport aussi efficace que la voiture ou le métro, indique la plus récente étude de Philippe Apparicio et ses collègues, publiée dans le Journal of Transport Geography.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont formé trois équipes de trois personnes qui se rendaient à une série d’endroits (entreprises, universités) à partir de Villeray, Rosemont et d’autres situés à une douzaine de kilomètres du centre-ville. Ils faisaient les parcours du matin (à 8 h) et du soir (à 17 h) à vélo, en auto et en transports en commun.
La durée moyenne des trajets aux heures de pointe est de 38 minutes pour les automobilistes, 39 minutes pour les cyclistes et 42 pour les usagers des transports en commun (bus et métro). Dans 25 % des trajets, le cycliste est même arrivé avant l’automobiliste. Et ces données ne tiennent pas compte du temps nécessaire pour garer la voiture.
« Il n’y a pas de différences significatives entre les trois modes [de transport]. Par conséquent, utiliser l’automobile aux heures de pointe à Montréal pour des trajets d’environ 45 minutes n’est pas plus rapide que de se déplacer à vélo ou en transport en commun. Autrement dit, le vélo et le transport en commun sont des alternatives efficaces à l’automobile aux heures de pointe », écrivent les auteurs.
Plein les oreilles et les poumons
C’est efficace, se déplacer à vélo, mais les cyclistes sont exposés à des niveaux importants de bruit et de pollution de l’air. En moyenne, les automobilistes sont exposés à des niveaux sonores de 67 décibels (en roulant les fenêtres baissées), contre 69 pour les cyclistes et 73 pour les usagers des transports en commun. Cette différence est significative, ce qui indique que les cyclistes et surtout les usagers du métro sont beaucoup plus exposés au bruit.

Les niveaux d’exposition au dioxyde d’azote (NO2), émis par la combustion du carburant, sont à peu près les mêmes pour les usagers des trois modes de transport. Ces niveaux sont deux fois moindres que la norme de l’OMS de 200 microgrammes par mètre cube à l’heure. Mais les cyclistes aspirent plus de litres d’air par minute et inhalent plus de polluants atmosphériques, à cause de l’effort physique. La nouvelle collecte de données dans les rues de Montréal vise à déterminer jusqu’à quel point les cyclistes respirent de l’air pollué.
Jusqu’à quel point, aussi, le fait de rouler sur une artère importante, la rue Saint-Urbain, par exemple, expose-t-il davantage les cyclistes à la pollution ? Jusqu’à quel point faut-il aménager des pistes cyclables dans des rues où l’air circule bien ? Sans grande surprise, les chercheurs concluent à ce jour qu’il vaut mieux faire un détour par de petites rues résidentielles pour aspirer moins de polluants.
Laisser la science décider
« Un cycliste qui décide d’arrêter de rouler sur Saint-Urbain et qui prend une petite rue à côté, sur une année, si c’est un trajet qu’il fait tout le temps, il va significativement réduire son niveau d’exposition au bruit et à la pollution », dit Jérémy Gelb, qui fait sa thèse de doctorat sur ce sujet à l’INRS.
Le représentant du Devoir est allé rouler au centre-ville et dans le Sud-Ouest avec Vincent Jarry, qui commence ses études de maîtrise avec l’équipe de Philippe Apparicio. Armé de sa panoplie d’appareils de mesure, il faisait systématiquement des détours par les grandes artères et par des voies cyclables nichées dans des parcs ou des rues peu fréquentées.
Rue Saint-Jacques, les camions nous crachent au visage — et dans les oreilles — les rejets de leur système d’échappement. À deux jets de pierre, la piste cyclable Saint-Henri, qui se faufile parmi les arbres matures, est un havre de paix. On se croirait en campagne.
Vincent Jarry rêve de contribuer, par ses recherches, à l’aménagement de voies cyclables saines. « C’est important que les axes cyclables soient planifiés de manière rationnelle et non politique. On a l’impression que les politiciens vont privilégier tel axe pour gagner des votes. »