Barrette accusé de nourrir les préjugés anti-autochtones

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, s’est défendu d’avoir fait directement référence à une communauté autochtone.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, s’est défendu d’avoir fait directement référence à une communauté autochtone.

Des membres de la communauté autochtone accusent le ministre la Santé Gaétan Barrette d’encourager les préjugés à leur endroit en insinuant que des parents du Nunavik risquent encore d’être expulsés de l’avion-ambulance en raison d’une consommation de drogue ou d’alcool.

« Je peux vous garantir qu’il y aura au moins un cas dans les six prochains mois où quelqu’un ne sera pas admis dans l’avion. Pourquoi ? Parce que quiconque est agité, drogué ou sous l’influence de quoi que ce soit ne sera pas autorisé à monter à bord, sous aucun prétexte, ça n’arrivera pas. Et ça arrive tout le temps », a affirmé le ministre dans un enregistrement audio obtenu par Le Devoir et CBC.

Lors d’un bain de foule dans une mosquée de sa circonscription de Brossard il y a deux semaines, M. Barrette répondait ainsi à un citoyen anglophone qui l’avait interpellé sur le sujet et qui se demandait pourquoi des enfants du Nunavik étaient encore évacués par avion sans accompagnateur. Dans cet entretien de cinq minutes où il ne savait pas qu’il était enregistré, il a déclaré que les appareils Challenger étaient maintenant « opérationnels », c’est-à-dire qu’ils avaient été modifiés pour permettre à un accompagnateur de monter à bord, et qu’il ne restait plus qu’à donner une formation au personnel.

Le maire de Kuujjuaq, qui a pris connaissance de ses déclarations, s’est dit profondément « choqué » et « déçu » qu’un ministre de la Santé puisse tenir de tels propos, même en privé. « Ce genre de mentalité et de commentaires est inexcusable, surtout pour une personne qui tente de régler un dossier ici. Ça montre qu’il ne nous connaît pas », a dit au Devoir Tunu Napartuk. « On a des défis, mais ses commentaires n’aident en rien la situation et renforcent les stéréotypes. »

C’est du racisme et du colonialisme à son meilleur

 

Barrette se défend

Dans un courriel envoyé par son attachée de presse, le ministre Barrette n’a pas nié qu’il a eu cette conversation avec un citoyen, conversation qui visait à bien lui expliquer les enjeux entourant les évacuations aéromédicales. Mais il s’est défendu d’avoir fait directement référence à une communauté autochtone. « Il a été effectivement mentionné qu’un parent ou un proche agité ou sous l’influence d’une substance toxique pourrait se voir refuser l’accompagnement d’un enfant à l’intérieur de l’avion-hôpital. Il s’agissait de l’énumération d’une règle de sécurité de la politique d’accompagnement, qui s’adresse à tout parent ou proche, peu importe son origine », pouvait-on lire. Selon lui, les « motifs » qu’on tente de lui imputer sont « infondés », et il déplore cette « interprétation » de ses propos.

Mais de l’avis du maire de Kuujjuaq, il ne faisait pas de doute que le ministre visait sa communauté. « Le sujet du Challenger et de l’évacuation médicale, ça fait un peu plus d’un an qu’on travaille sur ça, et c’est un dossier qui nous concerne. Son commentaire est envers les Inuits, et je trouve ça inacceptable, a-t-il dit. Il ne reflète pas la réalité de notre communauté. Il ne nous a pas visités assez souvent. »

Selon Cindy Blackstock, professeur à McGill et directrice de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la partie « problématique » est celle où le ministre dit que ça arrive tout le temps (« It happens all the time »). « Je suis déçue de la surgénéralisation de sa déclaration, qu’il étend à tous les membres de la communauté », dit-elle.

Dans sa conversation avec le citoyen, le ministre se vante d’être le premier à s’occuper du problème, problème qui n’avait jamais été soulevé auparavant, dit-il. C’est faux, insiste Mme Blackstock, rappelant que Philippe Couillard, alors qu’il était ministre de la Santé en 2005, avait été directement interpellé sur cet enjeu par la Commission des droits de la personne. Il lui avait répondu que la directive de ne pas accepter d’accompagnateur s’appuyait « sur des motifs de sécurité, d’intimité, d’éthique et de confidentialité pour les malades ». « Ce n’est vraiment pas quelque chose de nouveau. Heureusement que les citoyens, les médecins et les leaders de la communauté ramènent constamment le sujet. »

Propos « racistes »

Indignée, Ellen Gabriel, leader de la communauté mohawk, n’a pas mâché ses mots, qualifiant de « racistes » les propos de M. Barrette. « C’est du racisme et du colonialisme à son meilleur, a-t-elle lancé. Et [jeudi] c’est la Journée nationale des peuples autochtones. Ça montre ses vraies couleurs et son niveau d’ignorance du sujet. »

Selon elle, le ministre a tenté de trouver des raisons pour expliquer pourquoi le problème n’avait pas encore été réglé. « Ça ressemble à de la propagande pour justifier le fait que les parents n’étaient pas admis à bord de l’avion, dit-elle. Ça vient probablement de EVAQ [Évacuations aéromédicales du Québec]. Quand tu reconnais que le consentement du parent est important pour un enfant, tu t’arranges pour qu’il puisse l’accompagner. Et si quelqu’un ne peut pas monter parce qu’il se comporte mal ou est intoxiqué, il suffit de trouver quelqu’un d’autre. »

« Les préjugés racistes existent à tous les niveaux du secteur de la santé, ni moi ni les équipes EVAQ n’y faisons exception, et ont des conséquences néfastes pour les communautés autochtones », a dit pour sa part Samir Shaheen-Hussain, pédiatre urgentiste et professeur à la Faculté de médecine de l’Université McGill. « Il est déplorable de constater qu’au lieu de lutter contre ces préjugés par le biais d’initiatives antiracistes, le ministre de la Santé les perpétue par ses propos scandaleux. »

Devant la commission Viens en mars dernier, l’urgentologue avait déploré que le ministre Barrette ait encore une fois insisté, dans une conférence de presse annonçant des aménagements aux deux avions-hôpitaux, qu’il y aurait des interdictions de monter à bord pour les accompagnateurs intoxiqués. « Dans l’imaginaire collectif, ça risque vraiment de soulever l’image du drunk Indian qui est hors contrôle et qui ne peut pas être calme pour un transport aéromédical. » 

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