Reconnaître la cyberdépendance pour mieux la soigner

La dépendance au jeu vidéo est désormais une maladie. Voilà une bonne nouvelle, se réjouissent des intervenants, tant du côté de la communauté des gamers que du milieu de la santé au Québec. En ajoutant « le trouble du jeu vidéo » à son classement, l’OMS ouvre la voie à une meilleure reconnaissance de ce mal moderne, ce qui pourrait mener à de meilleurs traitements.
Actuellement, il n’existe pas d’offre élargie de services pour soigner la cyberdépendance au Québec. « Les régions y vont selon les demandes. Il est parfois difficile d’accéder aux ressources et il manque d’information », résume le coordonnateur des services professionnels au Grand chemin, Miguel Thériault. Ce centre d’hébergement traite environ 250 cyberdépendants chaque année, majoritairement des adolescents.
Une plus grande connaissance du problème permet d’espérer de meilleurs services, avance-t-il. « Ça ne changera pas du jour au lendemain, mais ça nous dirige vers un ordre de service mieux structuré, dont l’ensemble des Québécois pourrait bénéficier », dit-il.
Ce souhait est partagé par plusieurs intervenants, dont le président de la Fédération québécoise des sports électroniques, Patrick Pigeon. La dépendance aux jeux vidéo est dans le collimateur de la fédération depuis sa fondation, il y a deux ans, précise-t-il.
Elle préoccupe également la joueuse professionnelle, réputée mondialement pour ses exploits virtuels, Stéphanie Harvey.
« Présentement, c’est une réalité très difficile à quantifier et à définir, constate la porte-parole de DreamHack Canada, le plus grand festival de gamers au pays. En rendant le sujet “officiel”, on aura de meilleures ressources pour comprendre et aider. »
Même son de cloche chez le président de la campagne électorale du Parti libéral du Québec, Alexandre Taillefer, qui a fait de l’accès aux soins de santé mentale son cheval de bataille depuis que son fils Thomas, qui souffrait de cyberdépendance, s’est enlevé la vie en 2015. Selon lui, il s’agit d’une occasion en or pour les parents d’établir un dialogue avec leurs jeunes.
« On ne se réjouit jamais quand il y un problème de santé », souligne pour sa part le chercheur à la Direction de la santé publique de Montréal, Jean-François Biron. Néanmoins, lui aussi applaudit la reconnaissance de cet enjeu, qui permettra selon lui de mieux le définir et le comprendre.
La présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, abonde dans le même sens. Selon elle, la classification de l’OMS pourrait faire de la dépendance aux jeux vidéo un véritable enjeu de santé publique.
Mince ligne
L’OMS définit le trouble du jeu vidéo comme un « comportement […] qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes ».
Comme pour toute forme de dépendance, la ligne est mince entre l’usage récréatif et maladif, entre la passion et la maladie. M. Thériault observe chez les jeunes soignés au Grand chemin les mêmes symptômes de sevrage que pour d’autres formes de dépendance. « On voit énormément d’obsession, d’angoisse et de stress. »
« C’est très complexe de tracer une ligne, surtout au niveau des sports électroniques, qui demandent beaucoup de temps, les joueurs professionnels s’entraînant plusieurs heures par semaine. En ayant une reconnaissance officielle, ça va être plus facile d’identifier qui est vraiment à risque », estime M. Pigeon.
Le jeu vidéo est un puissant moyen d’évasion, note-t-il. « N’importe quel jeu fait une coupure avec la réalité. »
Lui-même a déjà consacré une quarantaine d’heures par semaine à la pratique du jeu vidéo tout en occupant un emploi à temps plein. Mais il n’est pas devenu accro pour autant. « C’est une passion, mais je me contrôlais », explique-t-il.
En 20 ans de gaming, il a toutefois vu certains de ses proches basculer dans la dépendance. « J’ai des amis qui ont tout perdu à cause du jeu », assure-t-il.
Stéphanie Harvey insiste sur l’importance de maintenir un équilibre, tant « dans le jeu qu’en dehors du jeu ».
La dépendance aux jeux vidéo ne concerne « qu’une petite minorité » des joueurs, a souligné l’OMS lundi. Le phénomène étant récent, il n’est pas encore documenté au Québec, mais on estime qu’il touche moins de 3 % des gamers dans le monde.
Néanmoins, si l’organisation a ajouté le trouble du jeu vidéo à son classement, « c’est parce qu’une croissance de la problématique a été portée à l’attention des experts », fait valoir Christine Grou.
Ceci n’est pas une raison pour stigmatiser les joueurs, prévient-elle. « Il ne faudrait pas sombrer dans un contexte où chaque fois [qu’un parent] voit ses ados sur une console, il s’inquiète et les amène en consultation. »
M. Biron rappelle que les adolescents sont à un âge caractérisé par la recherche de nouvelles expérimentations. « L’usage peut être transitoire. Un jeune peut se faire de nouveaux amis et arrêter de jouer », cite-t-il en exemple.
La suite des choses
Maintenant que le trouble du jeu vidéo est officiellement reconnu, on peut s’attendre à ce que cette maladie soit davantage documentée au cours des prochaines années, avance Mme Grou.
Québec travaille présentement à l’élaboration d’un plan de lutte contre les dépendances.
« La cyberdépendance est un nouvel enjeu dans notre société sur lequel nous nous penchons », a déclaré la directrice des communications du cabinet du ministre de la Santé, Marie-Ève Morneau, au Devoir.
Miguel Thériault rêve que des outils comparables à DEP-ADO (utilisé dans les écoles pour aborder les dépendances à l’alcool et aux drogues) voient le jour afin de mieux détecter les signes de cyberdépendance chez les jeunes. « Ceux qui reçoivent des services actuellement sont ceux pour qui la situation est grave », soutient-il.
Selon lui, la prochaine étape serait de reconnaître d’autres formes de cyberdépendances au même titre que le trouble du jeu vidéo, notamment celle aux réseaux sociaux, qui touche beaucoup de jeunes adolescentes, observe-t-il.
Alexandre Taillefer va un peu plus loin en souhaitant que davantage de responsabilités incombent aux compagnies qui développent des jeux vidéo, parfois conçus pour être addictifs. « Ça ouvre la porte à la création d’une jurisprudence en la matière », avance-t-il.