La mise au monde d’une utopie

Judith Cayer, deuxième à droite sur la photo, faisait visiter le Bâtiment 7 durant la grande ouverture du projet, lundi.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Judith Cayer, deuxième à droite sur la photo, faisait visiter le Bâtiment 7 durant la grande ouverture du projet, lundi.

C’est une sorte d’utopie réaliste. Un pied de nez au système capitaliste. Le Bâtiment 7, vestige industriel du siècle dernier, reprend vie par et pour les gens de Pointe-Saint-Charles, après plus d’une décennie d’engagement de militants convaincus.

On vous a déjà parlé de ce projet hors de l’ordinaire qui prend place dans le quartier considéré comme le berceau de la résistance citoyenne à Montréal. Le Bâtiment 7 a ouvert ses portes lundi. Les résidants du coin sont venus voir ce qui se trame dans cet immeuble de briques brunes soumis à une cure de rajeunissement au cours des derniers mois.

Judith Cayer, une des fondatrices de ce mouvement citoyen, accueillait les visiteurs à l’entrée. Elle offrait des visites guidées des deux étages qui abritent une microbrasserie, une épicerie, une arcade pour les jeunes et huit ateliers au service des résidents du quartier : garage de mécanique automobile, réparation de vélos, céramique, travail du bois, travail du métal, impression, sérigraphie, chambre noire…

Tous ces services sont gérés de façon naturelle, décentralisée, démocratique, par un noyau dur d’une soixantaine de personnes. Ces militants ont décidé de créer des services et des emplois dans une sorte de bulle « autogérée », hors du système capitaliste tel qu’on le connaît. Un peu comme dans l’essai Utopies réalistes, de l’historien néerlandais Rutger Bregman.

« Une utopie ? Ce n’est pas une utopie de croire qu’on est capables de s’organiser autrement avec autant de personnes, de façon décentralisée. On démontre que ça peut marcher », dit Judith Cayer, chargée de projet au Bâtiment 7.

« Peu importe le poids qu’on donne au mot utopie, on essaie de s’organiser différemment à tous les niveaux, dans notre financement, dans l’organisation du travail, dans notre mission, qui est de servir la communauté », ajoute-t-elle.

Une longue bataille

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Un artisan travaille le bois dans un des ateliers offerts au Bâtiment 7.

Servir la communauté tout en gagnant assez de revenus pour s’autofinancer, c’est le défi de ce projet hors norme.

Judith Cayer et ses amis militants se sont inspirés de l’essai Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux, qui dresse des portraits de succès autogérés partout dans le monde.

Rien ne prédisposait pourtant cet ancien bâtiment du CN, situé en plein quartier industriel, à devenir un lieu de rassemblement citoyen.

Loto-Québec voulait déménager ici son casino il y a une douzaine d’années. Les citoyens de Pointe-Saint-Charles ont fait avorter le projet en 2006. Puis ils ont convaincu le Groupe Mach, plus grand promoteur immobilier du Québec, de leur céder le Bâtiment 7, en plus de faire un don d’un million de dollars et de décontaminer le terrain à ses frais.

Ils ont bricolé leur projet à coup d’audace, de patience et d’acharnement. Ils font partie des premiers groupes au Québec à avoir émis des « obligations communautaires » pour recueillir une partie des 4,2 millions de dollars nécessaires à leur projet.

Un ancien couvent a donné de belles portes et fenêtres patrimoniales. Un agriculteur a donné sa vieille grange pour la récupération du bois. Des artisans du quartier ont fabriqué des meubles, des comptoirs et d’autres accessoires.

Autres projets en vue

 

Les gestionnaires du projet ont même tassé l’entrepreneur responsable de la rénovation du bâtiment, en janvier, pour prendre eux-mêmes en main les travaux. Ils ont été accrédités par la Commission de la construction du Québec.

Lundi, ils mettaient la dernière main aux tablettes de l’épicerie Le Détour, qui sera une véritable oasis dans un désert alimentaire. Au menu : fruits et légumes frais, produits laitiers, viande. Prix spéciaux pour les membres qui donnent trois heures de bénévolat par mois. Les gens de la place attendent avec impatience ce « super-dépanneur ». Il n’y a qu’une épicerie dans tout le quartier, loin à pied du Bâtiment 7.

« On est comme un village avec 14 000 résidents. Le marché est trop petit pour que ça intéresse le capitalisme. Notre épicerie à but non lucratif, c’est le seul modèle qui peut fonctionner ici », dit Judith Cayer.

Elle rêve aussi de la phase 2 du projet, qui prévoit l’ajout d’un centre de la petite enfance (CPE) et d’une maison des naissances. Les prochaines saisons s’annoncent fertiles.



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