L’abbaye d’Oka est vendue à un promoteur touristique et agricole

C’est la Corporation de l’abbaye d’Oka qui possédait le site patrimonial, après sa vente par les trappistes.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir C’est la Corporation de l’abbaye d’Oka qui possédait le site patrimonial, après sa vente par les trappistes.

Le complexe abbatial cistercien de Notre-Dame-du-Lac à Oka passe aux mains de promoteurs privés. Les nouveaux propriétaires promettent de rendre à l’abbaye fondée au XIXe siècle sa gloire architecturale, de préserver et d’enrichir son patrimoine agricole et d’y développer un centre récréotouristique « de classe internationale ».

La transaction immobilière de 5,5 millions de dollars a été conclue vendredi après un an de négociations entre la Corporation de l’abbaye d’Oka, propriétaire du lieu depuis une décennie, la firme Tridan, spécialisée en investissement immobilier, et Groupe Connexion, qui allie des compagnies de transport et de productions agricoles.

« Quand je suis rentré dans l’abbaye, j’ai vu un potentiel énorme de développement avec cette architecture assez unique, une sorte de château intact et merveilleux, avec une histoire et une valeur patrimoniale très importantes pour le Québec », explique au Devoir Alexandre Triquet, p.-d.g. de Tridan. « Je me suis dit qu’il fallait faire revivre la richesse de ce lieu pour faire comprendre aux Québécois sa signification tout en faisant découvrir au reste du monde cet aspect culturel du Québec. »

Des projets

 

Le détail des projets de développement pour les immeubles et le domaine de quelque 300 hectares sera connu dans les prochaines semaines. M. Triquet en annonce déjà certains en entrevue :

Patrimoine. « Les moines ont bien entretenu le complexe. La première chose pour nous sera de sauvegarder ce patrimoine, de faire revivre l’âme du lieu et d’expliquer son existence et sa raison d’être. Nous allons développer un projet porteur, inscrit dans l’histoire et qui rassemble les gens. »

Agriculture et jardins. Le partenaire Groupe Connexion possède notamment Vegkiss, qui produit du brocoli et du chou-fleur en Amérique du Nord. « Cette association avec un grand agriculteur permet de conserver les terres de productions agricoles intactes et de les développer. On va continuer la production existante et la bonifier. » Le nouveau propriétaire promet en plus de restaurer les bâtiments de ferme et les jardins français de l’abbaye « comme ils étaient en 1912 ».

Hôtellerie. Tridan a rénové le manoir McGibbon du lac des Sables, dans les Laurentides, pour y installer le Complexe Stone Haven Resort. Neuf millions de dollars y ont été injectés l’été dernier. La firme a aussi un projet d’hébergement à Los Cabos, au Mexique, et un autre au centre-ville de Montréal. « J’ai besoin de plusieurs pôles québécois pour intéresser la clientèle internationale, asiatique ou européenne, dit le promoteur. Je souhaiterais offrir des séjours de deux ou trois jours dans chacun de ces pôles pour faire découvrir le meilleur d’ici. » Une trentaine de chambres, sur les 180 cellules monastiques, sont déjà rénovées, mais de manière « austère ». M. Triquet voudrait bonifier ces espaces et en rajouter.

Agrotourisme. « Le fromage d’Oka offre un potentiel énorme de branding », dit le nouveau propriétaire des lieux en parlant de l’aliment pionnier de la production fromagère québécoise. Il dit avoir pris contact avec des vignerons et des brasseurs pour développer des produits spécialisés. Il pense créer un grand marché à l’ancienne.

Divertissement. Tridan compte reproduire des expériences immersives développées dans l’auberge Les Intraitables du Vieux-Montréal où les « Brunchs des sorciers », inspirés de l’univers d’Harry Potter, connaissent un franc succès. L’abbaye pourrait gonfler l’offre en proposant des semaines thématiques complètes et des camps de vacances à la Potter ou médiévaux.

Événements. Oka va continuer à s’offrir en location pour des occasions festives (mariages ou soirées), mais aussi pour des tournages. M. Triquet dit négocier un contrat avec un producteur américain pour un film qui y serait réalisé cet été.

1010, 1880, 2007

 

La vente permet à la municipalité de récupérer des taxes impayées de quelque 860 000 $, une facture assumée par les nouveaux propriétaires. La municipalité conserve par contre une dette résiduelle de 465 000 $ liée à l’abbaye. Ce découvert sera renégocié auprès d’une institution financière.

« Mon gros travail cette année, c’est d’arrêter les saignements, dit le M. Triquet. L’abbaye perdait beaucoup. En parallèle, on travaille sur des plans d’affaires. Les premiers gros travaux seront réalisés sur les terrains, et ça va vite faire la différence. »

La Corporation de l’abbaye, un organisme sans but lucratif dirigé en partie par la municipalité d’Oka, possédait le site patrimonial depuis sa vente par les trappistes en 2007. Notre-Dame-du-Lac a été fondée en 1880 par des trappistes français en provenance de l’abbaye de Bellefontaine de Bégrolles-en-Mauges, dans le Maine-et-Loire, dont les premiers ermitages semblent remonter à 1010.

Oka a rassemblé jusqu’à 180 moines. La communauté devenue beaucoup moins nombreuse a déménagé dans la nouvelle abbaye Val-Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha, au tournant de la décennie.

« Je connais l’abbaye d’Oka depuis mon enfance, raconte M. Triquet, maintenant âgé de 40 ans. Ma famille habitait de l’autre côté du lac et, avec mes parents, j’ai beaucoup fréquenté la plage d’Oka. J’ai visité la Trappe presque tous les week-ends d’été. Pour moi, ce site a beaucoup de significations personnelles. »

Il explique que le ministère de la Culture du Québec a contacté George Coulombe il y a plus d’un an pour l’intéresser à la vente du complexe des Basses-Laurentides. M. Coulombe a acheté et rénové des dizaines d’immeubles patrimoniaux du Vieux-Montréal. C’est lui qui a finalement pensé à Tridan pour l’acquisition d’Oka.

« C’est le berceau de l’agriculture au Québec. Oka a été la première école dans le secteur. Ce sont les moines qui ont développé les poules Chantecler résistantes au froid et qui ont développé des techniques expérimentales adoptées partout. C’est toute cette tradition que nous voulons évoquer et poursuivre. »

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