

Menacés d’expulsion, plusieurs s’isolent et sont privés de services médicaux et sociaux.
Chaque année, des milliers de personnes échouent dans leur tentative d’obtenir le statut de réfugié. Toutes ne repartent pas, glissant dans la clandestinité. Les sans-papiers, le prochain enjeu migratoire au Québec ?
Irène* vit dans la peur au quotidien depuis plus d’un an. Quinze mois après avoir demandé l’asile, le couperet tombait : statut de réfugié refusé. « J’ai tout sacrifié pour me sauver, je ne peux pas repartir. » Depuis, Irène vit dans l’ombre. « Je me sens honteuse. » Payée 10 $ de l’heure pour un emploi non déclaré deux jours par semaine, elle ne s’estime pas trop mal lotie. Rongée par l’anxiété, elle s’efforce de ne pas tomber malade.
Voilà quelques mois, elle a été victime de violence. Porter plainte et recevoir des soins médicaux ? Impensable. Elle a cessé de fréquenter l’église de sa communauté d’origine. « Tu deviens vulnérable dès que quelqu’un connaît ta situation. » Pourquoi rester dans de telles conditions ? Parce que rentrer est inconcevable. Parce que chez elle, elle a vu des collègues mourir d’exercer son métier. Parce qu’elle ne pense pas survivre si elle rentrait. « La CISR n’a pas cru à mon histoire », conclut-elle.
« Les gens qui lâchent tout ne repartiront pas. Ils viennent d’endroits où ça va très mal. Personne ne ferme sa maison, abandonne son travail, prend ses enfants sous le bras, se lance dans un tel voyage pour vivre par plaisir dans la précarité », soutient Justine Daoust-Lalande, infirmière chez Médecins du monde à Montréal.
Les estimations du nombre de personnes sans statut oscillent fortement. De 200 000 à 500 000 à travers le pays, de 20 000 à 50 000 au Québec. À la clinique pour migrants à statut précaire de Médecins du monde, on observe une augmentation de cette clientèle. En précisant bien que les chiffres qui circulent doivent être pris avec des pincettes. Ce que l’on observe assurément, c’est la vulnérabilité de ces personnes. La peur, Rachel Laberge-Mallette la voit défiler dans son bureau d'intervenante sociale. « C’est l’isolement extrême, l’absence de confiance. Même au sein de la communauté, les risques de dénonciation existent. Quelqu’un m’a dit : c’est comme si j’étais emprisonné avec moi-même. »
Pour ceux qui espèrent toujours obtenir un statut officiel, le délai de traitement actuel des demandes peut s’étendre jusqu’à 18 mois, parfois plus. Certains demandeurs d’asile rencontrés par Le Devoir n’avaient pas encore obtenu de date d’audition par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Pas dans l’attente passive pour autant, ils travaillent, apprennent le français, envoient les enfants à l’école, tentent de se faire un réseau, recommencent une vie. À la question « que ferez-vous si le Canada vous refuse le statut de réfugié », les réponses restent confuses. On ne veut simplement pas se la poser, plutôt nourrir l’espoir malgré tout.
Adopté à l’unanimité par le conseil municipal de la Ville de Montréal en février 2017, le principe de la ville « sanctuaire » demeure pour l’instant lettre morte. L’administration Plante a décliné notre demande d’entrevue, arguant que le dossier est « à l’étude ». Nous n’avons pas obtenu de précisions ni de réponse de la part de l’élue responsable du dossier.
Le statut de « ville sanctuaire » impliquerait de ne pas lier l’identité des personnes à leur statut sur le territoire. Par exemple, en délivrant des cartes d’identité comportant uniquement un nom et une photographie. « Une organisation comme la nôtre pourrait se porter garante de l’identité des personnes », explique Véronique Houle, directrice des opérations nationales chez Médecins du monde.
« Aujourd’hui, les personnes sans statut ne recourent pas aux services de sécurité publique en cas de besoin, de peur d’être dénoncées. Lors d’un contrôle d’identité, le Service de police de la Ville de Montréal peut vérifier le statut migratoire et communiquer avec l’Agence des services frontaliers du Canada, exécuter un mandat d’arrestation lancé par cette dernière. Une “ville sanctuaire” ne permettrait pas ce type d’intervention. »
Pour Louise Arbour, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour les migrations internationales, « toute personne sur un territoire devrait avoir accès aux droits et aux services fondamentaux. On n’a aucun intérêt à ce qu’une personne malade et contagieuse ne se fasse pas soigner par peur d’être expulsée. Le principe est le même pour les études : quel intérêt pour un pays de laisser se développer des enfants sans éducation ? Ce n’est pas une question de générosité, mais bien d’intérêt collectif. Pousser vers la clandestinité est contraire à l’intérêt commun. »
L’enjeu du retour, en cas de refus d’asile, fait débat dans le contexte des négociations autour du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. « Le processus de détermination du statut de réfugié est long, et quand il se solde par un refus, que faire ? Repartir ? Glisser dans l’économie informelle ? Le Canada va vivre cela », soulève Louise Arbour, tout en précisant que le phénomène est « bien moindre qu’ailleurs ». « On ne devrait jamais éliminer la possibilité de régulariser les personnes sans statut », conclut-elle.
* Les prénoms a été modifiés. Les pays d’origine ou certains détails relatifs aux témoins interrogés ont été omis, pour préserver leur anonymat durant l'étude de leur demande de refuge.
Menacés d’expulsion, plusieurs s’isolent et sont privés de services médicaux et sociaux.
Pour Louise Arbour, l’accueil des migrants peut être un moteur pour la société plus qu’un problème.