Combien y a-t-il d’itinérants au Québec?

Pour la première fois, le dénombrement des personnes sans abri sera déployé non seulement à Montréal mais dans la majorité des régions du Québec, le 24 avril prochain. L’opération, qui nécessitera cette fois l’aide de milliers de bénévoles, pourrait lever le voile sur un tout autre visage de l’itinérance.
C’est aujourd’hui que sera lancé officiellement Je compte MTL 2018, le deuxième exercice officiel de dénombrement des itinérants, dont la première édition, en 2015, avait évalué à 3016 le nombre de personnes sans abri dans la métropole.
Cette fois, le dénombrement s’étendra à onze autres régions du Québec, notamment Gatineau, la Montérégie (Longueuil, Sorel, Saint-Hyacinthe, Valleyfield), l’Estrie (Sherbrooke), Laval, Lanaudière (Terrebonne, Repentigny, Joliette et tout le sud de ce territoire), les Laurentides (Saint-Jérôme), Drummondville, Trois-Rivières, Québec, Chaudière-Appalaches (Lévis, Thetford Mines) et le Saguenay, grâce à l’apport de subventions venues de Québec et d’Ottawa.
Selon le directeur de l’opération Je compte MTL, Éric Latimer, ce premier coup de sonde panquébécois risque de révéler un tout autre portrait de l’itinérance que celui observé dans la métropole.
« Dans les plus petites villes, moins de gens dorment sur la rue, mais il y a des endroits spécifiques où convergent ces personnes en situation d’itinérance. L’itinérance y est davantage cachée », explique ce chercheur de l’Hôpital Douglas, également professeur à l’Université McGill.
Une armée de bénévoles
À Montréal, l’exercice sera aussi beaucoup plus étendu et nécessitera l’apport de 1200 bénévoles, plutôt que les 700 requis en 2015.
L’opération touchera l’ensemble des quartiers et plus de bénévoles seront dépêchés sur le terrain pour mieux cerner le phénomène de l’« itinérance cachée ». On désigne ainsi les personnes sans domicile fixe, hébergées de façon temporaire chez des amis, des proches, ainsi que celles résidant dans des maisons de chambre ou ne disposant d’aucun bail.
Fortement critiquée par certains organismes, mais endossée par les principaux refuges pour itinérants, cette opération ponctuelle de dénombrement a été assimilée à un « exercice de relations publiques » par le Réseau solidarité itinérance du Québec et le Regroupement des Auberges du coeur, dans une lettre publiée samedi dernier dans Le Devoir.
Ces organismes estiment que le décompte réduit le portrait « complexe [de l’itinérance] qui existe à l’année à un instantané d’une nuit ».
À ces critiques, le professeur Latimer rétorque que le décompte sera prolongé pendant trois jours dans certaines ressources. La réalité vécue par les personnes à haut risque d’itinérance en situation de logement précaire ou temporaire sera aussi étudiée grâce aux formulaires remplis par des personnes vivant dans ce type de résidences, rencontrées dans des centres de jour.
« Il est difficile de faire le recensement de cette population “invisible” parce qu’une bonne partie nous échappe. Mais nous allons recueillir des informations auprès de plus 500 personnes vivant cette situation », dit le chercheur.
S’ajoutent à cette clientèle cachée, qu’on espère mieux recenser, les femmes, les jeunes et les autochtones, moins susceptibles de se retrouver dans les ressources officielles destinées aux sans-abri, et les personnes plongées temporairement dans l’itinérance à la suite d’une crise personnelle, financière ou familiale.
« On reconnaît que c’est une population importante et on ne veut pas les ignorer. Les données recueillies par les questionnaires seront incorporées à notre analyse », insiste le directeur de Je compte MTL.
Au-delà des chiffres
Pour faire taire les critiques, M. Latimer ajoute que l’opération ne vise pas qu’à obtenir un « chiffre », mais également à mieux définir le profil des différentes catégories de sans-abri et leurs besoins les plus pressants.
Selon lui, il est fort probable que le prochain décompte observe une hausse du nombre de sans-abri à Montréal, une tendance lourde vécue dans toutes les autres villes canadiennes en raison de l’explosion du prix des loyers. « Si on veut empêcher cette croissance, il faut comprendre le problème et mieux le cerner », assure-t-il.
Pierre Gaudreau, du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), craint malgré tout que ce nouveau coup de sonde ne livre encore qu’un portrait « très partiel » de la réalité montréalaise, en minimisant la réalité des femmes, des jeunes et des autochtones, qui fréquentent moins certains refuges.
Ce dernier déplore aussi le fait que des régions comme l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord et le Bas-du-Fleuve, qui n’ont pas reçu de subventions, soient exclues de cette opération.
« Ce qu’on dit, affirme M. Gaudreau, c’est qu’il ne faut pas se baser uniquement sur cela pour orienter les actions futures des gouvernements. »