Les indiscrétions d’une caméra

L’action collective pour atteinte à la vie privée impliquant les voitures et camions de Google Street View au Canada est sur le point d’aboutir. Un projet d’entente conclu entre les avocats des plaignants et ceux de Google prévoit que la compagnie verse 1 million à des centres de recherche sur la vie privée de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa.
Les fonds seraient versés au Centre de recherche en droit public (CRDP) de l’Université de Montréal et au Centre de recherche en droit, technologie et société (CRDTS) de l’Université d’Ottawa. Ils serviraient à financer des projets de recherche sur la protection des données Internet et les risques d’atteinte à la vie privée.
Les deux chercheurs responsables, Vincent Gautrais (CRDP) et Ian Kerr (CRDTS) n’ont pas voulu discuter du dossier vendredi. « Nous ne commenterons pas avant que tout soit finalisé », a répondu par courriel le Dr Kerr.
Le projet d’entente doit en effet être approuvé par un juge avant d’être valide. Une audience à cet effet est prévue pour le 28 mai au palais de justice de Montréal.
Rappelons que Google était accusé dans cette affaire d’avoir porté atteinte à la vie privée de citoyens canadiens avec les voitures de Google Street View. Les gestes qui lui sont reprochés se sont produits entre mars 2009 et mai 2010.
Créé en 2007, l’outil Google Street View donne accès sur Internet à des images à 360 degrés de pratiquement tous les lieux publics. Pour recueillir ce matériel, des véhicules sillonnent les rues de la planète avec une caméra sur leur toit.
Or en 2010, une enquête menée en Allemagne a révélé que les camions recueillaient et stockaient aussi des données transmises par les réseaux sans fil des maisons et commerces, comme des adresses URL, des courriels, des noms d’utilisateur, des mots de passe et d’autres renseignements personnels.
Appel lancé aux victimes
Au Canada, on ignore combien de personnes ont pu en être victimes, mais selon une enquête menée en 2010 par l’ancienne commissaire à la vie privée Jennifer Stoddart, elles pourraient se compter par milliers. L’avocat responsable de la poursuite, Jeff Orenstein du Consumer Law Group (CLG) à Montréal, n’a pas répondu à nos messages vendredi.
Or dans les projets d’entente, on souligne qu’il est très ardu et coûteux de retrouve les victimes, d’où l’idée que le million obtenu de la compagnie soit versé à un tiers.
Par ailleurs, CLG diffuse actuellement des publicités dans des quotidiens de Montréal, Toronto et Vancouver pour inciter les victimes potentielles à prendre connaissance de l’entente. Trois options s’offrent à elles : l’approuver, la contester devant le juge ou s’en exclure (ce qui leur permettrait de garder le droit de faire une réclamation individuelle contre la compagnie).
Dans la convention de règlement, les avocats de Google soulignent que malgré l’entente et le versement proposé de 1 million, l’entreprise ne fait « aucune reconnaissance de responsabilité ». On souligne toutefois que « des données » qui avaient été recueillies à l’époque ont été détruites avant que l’action soit intentée.
Les avocats des deux parties disent s’être entendus en tenant compte notamment « du fardeau que poserait la poursuite de l’action et du coût qu’elle entraînerait ».
La demande d’autorisation de l’action collective remonte déjà à près de sept ans et les frais d’avocats s’élèvent à au moins 300 000 $, somme qui sera d’ailleurs soustraite des fonds remis aux chercheurs.
L’enquête menée en 2010 par la commissaire Stoddart avait conclu que Google avait bel et bien enfreint la loi canadienne sur les renseignements personnels. Elle révélait en outre que non seulement les véhicules de Google Street View avaient capté des courriels complets, mais aussi les noms, adresses et numéros de téléphone de personnes souffrant de certaines maladies qui n’avaient pas été nommées dans le rapport.
Le Canada est loin d’être le seul endroit dans le monde où l’outil Google Street View a été mis en cause. Au moins douze pays ont mené des enquêtes dans ce dossier, dont la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. En 2013, aux États-Unis, Google s’était engagé à verser 7 millions à une trentaine d’États qui la poursuivaient dans cette affaire.