Sandra Perron seule au front, blessée au combat

Sandra Perron avait décidé à la fin des années 1980 de rejoindre l’armée pour réaliser son rêve d’intégrer un jour les unités de combat, tout particulièrement l’unité aéroportée.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Sandra Perron avait décidé à la fin des années 1980 de rejoindre l’armée pour réaliser son rêve d’intégrer un jour les unités de combat, tout particulièrement l’unité aéroportée.

Sandra Perron est devenue en 1992 la première femme des Forces armées canadiennes (FAC) à intégrer des unités de combat. Mais pendant sa carrière de treize ans, le sexisme rampant et la violence ont laissé des cicatrices indélébiles sur son âme et son corps. Récit d’une battante.

Jamais Sandra Perron, capitaine des Forces armées déployée en Croatie et en Bosnie, n’aurait pensé que ses pires ennemis se trouveraient un jour du même côté de la ligne de front qu’elle.

Au cours de sa carrière, elle sera violée, battue, humiliée par certains de ses collègues, et même harcelée par la police militaire, raconte-t-elle dans le récit de sa vie passée au sein des Forces armées canadiennes, intitulé Seule au front.

 

Sandra Perron était seule au front quand elle a décidé, à la fin des années 1980, qu’elle rejoindrait les FAC pour réaliser son rêve d’intégrer un jour les unités de combat, tout particulièrement l’unité aéroportée.

Ce qu’elle ignorait, c’est qu’elle resterait seule, pendant toutes ses années, à tenter de percer la bulle d’un monde d’hommes, réfractaire à la présence des femmes.

Viol et violences

 

Fille de militaire, élevée sur une base de l’armée canadienne, sa vision idéale de l’armée, symbole de loyauté et d’intégrité, sera rapidement ébranlée. Victime d’un viol par un autre étudiant pendant ses études à la fin des années 1980, elle tait le tout et subit un avortement en secret, par crainte de voir sa carrière compromise.

Seule femme parmi une meute d’aspirants officiers, Sandra joue les « Rambo » pour être acceptée de ses pairs et encaisse les sarcasmes constants de certains collègues durant sa formation à la base militaire de Gagetown au Nouveau-Brunswick.

Lors d’un exercice de combat, sans être avertie, elle se retrouve attachée mains liées, yeux bandés en plein hiver à un arbre, en chaussettes. Pendant quatre heures, sans voir ses agresseurs, elle sera battue, giflée au visage pour « tester » sa résistance, lors d’une prise de prisonniers simulée. Elle vivra une fausse exécution sommaire.

Une enquête interne sera déclenchée contre son gré par l’armée sur ce dérapage, mais les supérieurs impliqués seront lavés de tous blâmes. « Pour moi, c’était normal d’encaisser des coups quand on veut aller à la guerre ! »

Elle garde aujourd’hui des séquelles de cette nuit d’enfer. Ses pieds bleus et gonflés par le gel à l’époque ne peuvent plus supporter aucune exposition au froid. « Mes pieds sont finis », confie Sandra, aujourd’hui dans la jeune cinquantaine.

Même après avoir quitté l’armée en 1996, elle n’a jamais dénoncé ses agresseurs, ou voulu intenter de poursuites pour blessures physiques, dit-elle.

« Je ne voulais pas devenir le visage de l’abus, être une victime. Je voulais être vue comme une soldate. » À part ses pieds enflés, ses parents ne sauront rien de ce qu’elle a dû endurer avant d’être intégrée au sein du Royal 22e régiment, un milieu encore gangrené par la culture machiste.

Humiliée

 

Traitée de « feinte-à-seins », de « sniper snatch », la tête plongée dans une cuvette de toilette, elle est privée d’informations cruciales et voit son matériel saboté par certains collègues pendant sa formation au combat. Certains l’attachent même à la tourelle d’un véhicule blindé pour la faire échouer lors d’un exercice sur le terrain. Elle restera au sein des Forces, malgré tout. Une officière modèle, imperturbable. Pourquoi ?

« J’aimais les manoeuvres. Pour moi, le reste, c’était du bruit de fond. J’avais toujours espoir d’être acceptée par le groupe. L’exclusion au quotidien, pour moi, c’était bien pire que les cas d’agression », confie-t-elle.

Elle devient en 1992 première femme combattante du Royal 22e régiment, envoyée en mission en Bosnie, puis en Croatie, où, comme capitaine formée au maniement des missiles TOW, elle commande un peloton antichar.

À son retour, malgré son grade, on oppose un non catégorique à sa demande d’intégration au régiment aéroporté. La coupe était pleine. Voyant son rêve lui filer entre les doigts, elle quitte les FAC en 1996, la mort dans l’âme. Elle avait évité les mines en Croatie, mais ne pouvait rien contre celles que continuaient de poser ses supérieurs masculins sur son chemin. « Ils me faisaient marcher à quatre pattes, lance-t-elle, mais moi, je voulais courir ! »

Le corps n’oublie pas

Sandra Perron a refait sa vie, adopté des enfants et fait une belle carrière chez GM et Bombardier. Mais en 2014, son passé est revenu la hanter. Après avoir couché sur papier son récit autobiographique, elle a craqué.

 

« Je me suis retrouvée en petite boule à l’hôpital, aux prises avec un épisode de syndrome de stress post-traumatique. Ma tête avait oublié les épreuves, mais pas mon corps », dit celle qui travaille toujours à s’en remettre.

Même si elle garde de précieux souvenirs des moments vécus dans l’armée avec des « alliés fidèles », elle reconnaît aujourd’hui son erreur et encourage les femmes à dénoncer le harcèlement. Briser le silence plus tôt aurait peut-être évité à d’autres femmes militaires d’être harcelées à leur tour, regrette-t-elle.

Je ne voulais pas devenir le visage de l’abus, être une victime. Je voulais être vue comme une soldate.


Sandra Perron, qui se dit toujours très « loyale » envers l’armée, n’entend pas se joindre aux actions collectives intentées au nom de centaines d’ex-femmes militaires réclamant un milliard du gouvernement fédéral pour avoir omis de les protéger du harcèlement sexuel qui régnait dans les rangs. Plus besoin, dit-elle.

En avril 2017, son livre en anglais a été lancé en présence de plusieurs hauts gradés des FAC. Un sous-ministre de la Défense, informé de son état de santé, lui a même dit : « On ne vous laissera pas tomber une deuxième fois. »

« Après la sortie de mon livre, j’ai reçu des lettres d’excuses de la part de collègues qui m’ont harcelée, même de mes pires détracteurs. Pour moi, cela a eu plus de valeur que la meilleure des compensations », sourit l’ex-capitaine. De grandes victoires, gagnées cette fois sur son propre champ de bataille.

Seule au front. Un témoignage de la première officière de l’infanterie canadienne

Sandra Perron, Québec Amérique, 2017

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