Pesticides: l’indépendance des agronomes fait débat

Trois des insecticides de type néonicotinoïdes les plus courants, ainsi que le chlorpyrifos et l’herbicide atrazine, ne pourront bientôt plus être appliqués sans l’autorisation écrite d’un agronome.
Photo: iStock Trois des insecticides de type néonicotinoïdes les plus courants, ainsi que le chlorpyrifos et l’herbicide atrazine, ne pourront bientôt plus être appliqués sans l’autorisation écrite d’un agronome.

Insuffisantes pour les uns, exagérées pour les autres, les nouvelles règles imposées par Québec dans l’utilisation des pesticides ne laissent pas indifférent. Et après les pesticides, c’est le travail des agronomes que plusieurs acteurs appellent maintenant à encadrer.

Les Producteurs de grains du Québec (PGQ), quant à eux, ne digèrent pas ces mesures qui les forceront à revoir leur pratique en matière de semences enrobées de néonicotinoïdes, des semences qui occupent la quasi-totalité du marché des grains de maïs et plus de la moitié de celui du soya.

Trois des insecticides de type néonicotinoïdes les plus courants, ainsi que le chlorpyrifos et l’herbicide atrazine, ne pourront en effet bientôt plus être appliqués sans l’autorisation écrite d’un agronome. La ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), Isabelle Melançon, en a fait l’annonce lundi midi.

Sans interdire les pesticides, et en désignant les cinq substances considérées comme les plus toxiques, Québec a ainsi choisi d’encadrer leur utilisation par un système de « prescription ». À l’instar d’un patient qui recevrait une prescription d’antibiotiques d’un médecin à partir de certains symptômes, les producteurs agricoles devront fournir la preuve qu’un « ennemi des cultures », souvent un insecte ravageur, est bel et bien présent. Si l’utilisation est autorisée, ils devront ensuite l’inscrire à leur registre, une procédure déjà en place pour la majorité des exploitants agricoles.

Or, plusieurs des agronomes à qui la tâche de prescrire les pesticides est dorénavant confiée entretiennent aussi des liens avec l’industrie. Un « conflit d’intérêts » pur et simple, selon l’Alliance pour l’interdiction des pesticides systémiques, une association de groupes environnementaux. Une crainte partagée par l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui soulignait déjà ce problème l’été dernier.

Jusqu’à 200 agronomes travailleraient dans le domaine de la phytoprotection, donc en lien avec les pesticides et la protection des cultures, et 80 % d’entre eux agiraient aussi comme « fournisseur d’intrants », estime l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ).

Son président, Michel Duval, n’y voit pas « d’indice de problèmes majeurs » et tient à rassurer sur les craintes de « prescriptions de complaisance ». Trois inspecteurs sont déjà chargés de faire respecter le Code de déontologie auprès des membres de l’OAQ. Après l’obtention de la signature d’un agronome, « la prescription devient alors la propriété du producteur qui sera en mesure d’aller magasiner à son choix », assure-t-il.

Un argumentaire repris par Mme Melançon, dont le ministère a signé une entente pour resserrer la surveillance des agronomes.

Voix discordante

 

Le nouvel encadrement enrage les PGQ, qui estiment cette réforme « abusive et contre-productive ». Opposition la plus virulente à ces modifications, les PGQ disent avoir été « mis devant le fait accompli » et ont fait lundi la liste de leurs récriminations face aux nouvelles règles, qui minent selon eux la rentabilité du secteur.

Les PGQ reprochent en premier lieu à Québec de ne pas avoir évalué les impacts financiers des mesures qui seront bientôt en vigueur. La difficulté, rétorque la ministre Melançon, est que les semences enrobées de néonicotinoïdes étaient exclues du bilan de ventes annuelles de pesticides. « Donc c’est difficile pour nous de savoir ce qui était entré systématiquement dans la façon de faire des agriculteurs », note-t-elle.

L’exclusion du bilan est maintenant corrigée quant aux semences enrobées de « néonics », un marché intimement lié au chiffre d’affaires de 1,3 milliard de dollars déclaré par les PGQ.

Ce type de traitement utilisant les pesticides désignés comme « tueurs d’abeilles » est tellement devenu courant, que la baisse de disponibilité, et par conséquent la hausse des prix, des semences non enrobées a été soulevée par certains agriculteurs dans les dernières années. Les prix devraient se rééquilibrer après quelques années, espère le MDDELCC.

Insuffisant

 

Québec n’a pour l’instant pas annoncé de cible chiffrée de réduction. Plusieurs voix plaident aussi pour de plus grands investissements dans les méthodes dites alternatives, afin d’en arriver à une interdiction totale des néonicotinoïdes, comme le souhaite le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec. La France applique déjà de fortes restrictions quant à l’usage de ces pesticides et prévoit mettre en oeuvre leur bannissement complet à partir de 2020.

  

« Au Québec, même jusqu’à hier, les pesticides étaient relativement en vente libre, relativement faciles d’accès pour à peu près tout le monde », a par ailleurs souligné le président de l’OAQ en conférence de presse.

Ce sont 100 % des cours d’eau en milieu agricole échantillonnés par le MDDELCC qui présentent des traces de pesticides, dans des concentrations variables. Dans près de la moitié de ces cours d’eau, jusqu’à 33 types de pesticides ont été décelés. « Imaginez le cocktail chimique que ça représente pour la biodiversité », a admis la ministre Melançon.

« L’affirmation de l’industrie agrochimique selon laquelle les pesticides sont nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire est aussi inexacte que dangereusement fallacieuse », soulignait la rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation de l’ONU l’an dernier.

Les abeilles, en déclin ou non ?

Une décennie après les mortalités les plus élevées jamais recensées, le nombre de colonies d’abeilles domestiques n’a pas diminué au Canada, l’espèce montrant même une tendance à la hausse. Mais attention, si les abeilles domestiques ne sont plus en déclin, ce n’est que parce que les apiculteurs redoublent de soins et d’attention.

La situation est donc plus préoccupante du côté des pollinisateurs sauvages, plus difficiles à surveiller. Plusieurs études, dont un texte publié dans la revue Science l’été dernier, confirment que les « néonics » ont aussi des effets délétères sur les abeilles sauvages. Ces pesticides s’attaquent au système nerveux des abeilles, entraînant leur mort ou les laissant moribondes. D’autres facteurs peuvent aussi expliquer le déclin des pollinisateurs sauvages, mais la cause la plus rapidement évitable demeure l’utilisation des néonicotinoïdes.
 

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