Des psychiatres dénoncent la réduction de services à l'Institut en santé mentale de Québec

Selon les psychiatres, la décision de transférer les patients des urgences vers un hôpital comme l’Institut en santé mentale de Québec est motivée par la directive ministérielle «de vider les urgences le plus rapidement possible pour redorer les statistiques».
Photo: iStock Selon les psychiatres, la décision de transférer les patients des urgences vers un hôpital comme l’Institut en santé mentale de Québec est motivée par la directive ministérielle «de vider les urgences le plus rapidement possible pour redorer les statistiques».

L’absence de médecins les soirs et fins de semaine à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ) est inacceptable et risquée, dénoncent des dizaines de psychiatres et collègues d’autres disciplines dans une lettre ouverte au Devoir.

« Alors que le fléau des maladies mentales est de plus en plus pris au sérieux dans la population avec les sorties publiques d’Alexandre Taillefer ou de Samuel Archibald, des décisions administratives ne vont pas dans la bonne direction », écrivent les signataires de la lettre.

« Nos patients se retrouvent sans couverture médicale soirs, nuits et fins de semaine en cas de complications relatives à leur condition psychiatrique, dont l’abus de drogue, une tentative de suicide ou une réaction sévère à la médication. »

Le Devoir révélait mardi qu’à compter de la fin mars, il n’y aurait plus de médecin le soir après 16 h, la nuit et la fin de semaine à l’IUSMQ. Un médecin sera de garde, mais sur appel.

Interpellé à ce propos, le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale avait expliqué que cela découlait du départ à la retraite de cinq médecins généralistes, mais qu’on aurait probablement fait des changements de toute façon parce que le service n’était pas « absolument nécessaire ».

Le directeur des services professionnels, le Dr Pierre Laliberté, ajoutait qu’en cas d’urgence, l’Hôpital de l’Enfant-Jésus offrait des soins spécialisés à cinq minutes de là en ambulance. Un commentaire qui a été particulièrement mal reçu.

« Cette solution, en plus d’augmenter les risques pour les patients de l’IUSMQ, augmentera l’affluence à l’hôpital […] sans ressources supplémentaires en plus de mobiliser inutilement des techniciens ambulanciers », plaident les signataires, qui proviennent non seulement de l’IUSMQ, mais aussi de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) et de l’Hôpital du Saint-Sacrement.

« La réalité sur le terrain est que les patients admis en psychiatrie à l’IUSMQ arrivent déjà en ambulance des urgences psychiatriques d’autres établissements », poursuivent-ils.

D’emblée, la décision de les transférer des urgences vers un hôpital comme l’IUSMQ est trop souvent motivée selon eux par la directive ministérielle « de vider les urgences le plus rapidement possible pour redorer les statistiques » plutôt que par l’avis de l’équipe soignante ou la continuité des soins.

Le service offert ailleurs

 

Mercredi, le sujet avait rebondi à l’Assemblée nationale quand le député caquiste François Paradis a demandé au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de s’engager à ce que le service soit maintenu.

M. Barrette a alors reconnu qu’il s’agissait d’un dossier « de très grande importance » et que des discussions étaient en cours avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) dans ce dossier. Il faisait aussi valoir que la présence de médecins à l’IUSMQ les soirs et fins de semaine constituait une « exception » dans le réseau qui découlait « d’un choix de professionnels et non d’une obligation professionnelle ».

« Il y avait une tradition, dans cette institution, selon laquelle des médecins restaient à l’hôpital, une tradition qui était exceptionnelle, ce n’est pas quelque chose qui se voit ailleurs dans le réseau », avait-il dit.

Vérification faite, d’autres hôpitaux spécialisés en santé mentale offrent le service. C’est le cas de l’Institut Douglas et de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, qui offrent tous deux un service sur place 24 heures sur 24. Or ces deux établissements ont de surcroît une urgence en leurs murs, ce qui n’est pas le cas de l’IUSMQ.

La décision du CIUSSS dans ce dossier a en outre fait réagir ailleurs cette semaine. « Je suis tombée en bas de ma chaise », a réagi la directrice de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), Doris Provencher. « Comment ça se fait ? Est-ce que le fait que je sois hospitalisée en santé mentale, ça veut dire que je n’ai pas de problèmes en santé physique ? »

Se disant « indignée », elle souligne que l’IUSMQ est un hôpital et que « l’État a la responsabilité de donner les services ». « Il peut arriver n’importe quoi. Si je suis dans un hôpital, je m’attends à avoir des services. Même si c’est un hôpital psychiatrique. »

Dans une autre lettre reçue par Le Devoir, le psychiatre Hubert Wallot se demande si on n’est pas « en train de laisser renaître l’asile qu’on croyait du passé ». Il y relève qu’en plus du problème soulevé plus haut, la réforme Barrette a eu pour effet, à Québec, de ramener des services en santé mentale dans le giron de l’IUSMQ (l’ancien hôpital Robert-Giffard). « On revient donc à une ghettoïsation des services psychiatriques affublée d’une baisse de services médicaux. »

L’IUSMQ compte un peu plus de 300 malades. Les auteurs de la lettre collective soulignent que 65 % des patients en psychiatrie ont au moins une maladie physique et que leur espérance de vie est inférieure de 25 ans à celle de la population en général, en particulier en raison de problèmes cardiaques.

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