Les traces historiques de Jésus restent rares et fragiles

Le film de Mel Gibson a relancé les polémiques sur la vie du Christ, sa famille, sa Passion et sa mort. L'exégèse et l'histoire mesurent le caractère partiel et partial des indices archéologiques autant que scripturaires. Les interrogations demeurent plus nombreuses que les réponses dans un domaine où les sources littéraires et archéologiques sont rares et fragiles.
Son existence. Aucune trace archéologique connue ne vient corroborer les récits évangéliques de la vie de Jésus (Nouveau Testament) dans l'Israël du premier siècle. Et les indices sont très fragmentaires. Parmi les plus récents, une statue retrouvée en 1961 dans le théâtre de Césarée Maritime, capitale administrative de Judée, portant les noms de l'empereur Tibère et de Pilate, gouverneur de Judée (de 26 à 36), qui ordonna la crucifixion de Jésus. C'est la première preuve épigraphique de l'existence de Pilate cité depuis des siècles dans le Credo des chrétiens.Les sources littéraires sont plus nombreuses, mais d'origine chrétienne et donc sujettes à caution. La plus ancienne, la correspondance de l'apôtre Paul, les « épîtres », est adressée entre 50 et 58 aux premières communautés de convertis (Éphésiens, Corinthiens, Romains, etc.).
L'Évangile de Marc est composé vers 65 à Rome : c'est le premier des quatre Évangiles canoniques (reconnus par l'Église). Suivent L'Évangile de Matthieu, écrit en Palestine entre 75 et 90, et celui de Luc, dans les milieux grecs de Syrie, entre 65 et 80. L'Évangile de Jean, le plus tardif, est publié entre 90 et 100, en Asie mineure. Mais ces témoignages de croyants ne sont pas des récits historiques.
Les sources juives et latines constituent des données scientifiquement plus fiables. La première attestation écrite non chrétienne de l'existence de Jésus est celle de l'historien juif Flavius Josèphe, mort en l'an 100. Dans ses Antiquités juives, il rapporte le martyre de Jacques, « frère de Jésus, dit le Christ », un texte de 93-94 dont les critiques reconnaissent l'authenticité. À la différence d'un autre passage plus connu dont les savants estiment qu'il a été retouché par des scribes chrétiens : « À cette époque-là, écrit Flavius Josèphe, il y eut un homme sage nommé Jésus. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir [...]. Mais ses disciples racontèrent qu'il leur apparut trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. »
Côté romain, Pline le Jeune, Tacite et Suétone parlent de Jésus, ou plutôt de « Christ » (mot formé à partir du grec Khristos, qui veut dire « celui qui a reçu l'onction »), à propos des démêlés des premiers chrétiens avec les autorités impériales. Légat de Bithynie (Asie mineure), Pline informe Rome, vers 112, de mesures prises contre ses disciples « qui chantent entre eux un hymne à Christ, comme à un dieu ». Plus tard (vers 116), l'historien Tacite mentionne aussi dans ses Annales (XV, 44) la « détestable superstition [...] au nom d'un Christ que, sous le principat de Tibère, le procurateur Pilate avait livré au supplice ». Les exégètes accordent plus d'authenticité au juif Flavius Josèphe, jugé plus neutre que les patriciens romains comme Suétone et Tacite, qui n'avaient que mépris pour cette secte chrétienne venue d'Orient.
Sa famille. En octobre 2002, un archéologue français, André Lemaire, a mis au jour un ossuaire sur lequel une inscription en araméen porte le nom de trois figures évangéliques : « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus ». Mais en juin 2003, le département des antiquités en Israël rendait publiques les réserves des paléographes, des linguistes, des géologues et des archéologues : l'inscription est postérieure à l'ossuaire, dont la provenance est inconnue.
Le Nouveau Testament atteste sans équivoque l'existence de frères et soeurs de Jésus : l'évangéliste Luc dit de Marie qu'« elle enfanta son fils premier-né », ce qui laisse supposer qu'elle eut d'autres enfants. Quand Jésus quitte son métier d'ouvrier du bois à Nazareth, son auditoire aussi s'inquiète : « Ta mère, tes frères et tes soeurs te cherchent » (Marc). Au nom du dogme de la virginité de Marie, les Églises catholiques et orthodoxes ont toujours refusé de reconnaître des frères et des soeurs à Jésus. Les noms cités feraient partie d'une parentèle proche.
En puisant à la fois aux Évangiles de Jean et de Marc, les Églises soulignent la présence au pied de la croix du Christ d'une « soeur » de Marie, femme de Clopas et mère de Jacques et de Joset, qui ne seraient donc au mieux que les « cousins » de Jésus, appelés « frères du Seigneur » à la manière orientale. À l'époque, dans tout l'Orient, les enfants vivant sous un même toit étaient tous « frères », même s'ils n'étaient que de simples cousins. D'ailleurs, la Septante (traduction grecque de L'Ancien Testament, 150 avant J.-C.) emploie beaucoup plus souvent le mot « frère » (adelphos) que celui de « cousin » (anepsios).
Sa mort. Les premiers témoignages écrits sur la mort de Jésus (vers 30-33) datent du milieu des années 50 chez l'apôtre Paul, premier auteur chrétien connu. Mais, dégageant surtout la portée métahistorique de l'événement (rédemption des péchés du monde), Paul est avare de détails. « La portée salutaire de ces faits importait plus aux premiers chrétiens que les contingences extérieures qui les ont historiquement provoqués », explique l'exégète François Bovon, professeur à la Divinity School de Harvard.
La tâche des chercheurs est toutefois facilitée par le fait qu'avec beaucoup de différences, les quatre Évangiles ont une structure identique : Jésus est livré aux chefs juifs, puis à la justice romaine ; il est exécuté sur une croix et ressuscite trois jours plus tard. Ces récits de la Passion sont à la fois apologétiques et missionnaires.
Apologétiques : dans le contexte de polémique croissante avec le judaïsme (fin du premier siècle), ces récits évangéliques montrent la conformité de la mort de Jésus le Messie avec les écrits prophétiques de L'Ancien Testament. Ils tentent de répondre à l'incrédulité des juifs pour qui un condamné à mort, suspendu à une croix, loin de pouvoir être le Messie, est maudit par la loi. Saint-Paul dira : « La croix, scandale pour les juifs, folie pour les païens. »
Missionnaires : pour convaincre les païens, précisément, les récits évangéliques tendent à disculper les Romains. Matthieu dépeint Ponce Pilate se lavant les mains. Luc le montre proclamant par trois fois l'innocence de Jésus. Jean décrit Pilate livrant Jésus aux juifs pour être crucifié.
Son supplice. En 1968, à Jérusalem, dans le quartier de Giv'at ha-Mivtar, des chercheurs israéliens ont mis au jour la tombe, datant du premier siècle, d'un crucifié nommé Johanan (Jean). De quoi préciser — sans certitude — la façon dont Jésus a été mis à mort. Les talons du crucifié étaient transpercés par un clou en fer de 17 cm, les jambes étaient fléchies, les tibias avaient été brisés.
Les Romains faisaient subir la crucifixion aux condamnés des classes inférieures. Le supplicié devait porter la traverse (patibulum) et non la croix entière. Sur le parcours du gibet, les flagellations étaient courantes. Le condamné était déshabillé et ses vêtements partagés. Ses membres étaient fixés aux poutres par des clous : dans la partie osseuse de l'avant-bras, non dans la paume de la main, comme chez Gibson. Les tibias étaient fracturés avec une barre de fer pour accélérer la mort par asphyxie. Hormis les témoignages de ses disciples, aucune source non chrétienne n'évoque bien sûr la résurrection de Jésus.