Guy Ouellette jure ne pas être la source des fuites

Le député Guy Ouellette et son avocat dans les couloirs du palais de justice de Québec avant son témoignage dans le cadre du procès des ex-ministres Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté
Photo: Francis Vachon Le Devoir Le député Guy Ouellette et son avocat dans les couloirs du palais de justice de Québec avant son témoignage dans le cadre du procès des ex-ministres Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté

Le député Guy Ouellette s’est défendu d’être l’auteur des fuites médiatiques de documents d’enquête confidentiels de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) lors de son témoignage très attendu au procès Normandeau-Côté, jeudi, au palais de justice de Québec.

M. Ouellette a dû revenir sur les propos tenus la veille par l’ex-entrepreneur Lino Zambito. Ce dernier avait déclaré avoir appris de M. Ouellette qu’avant l’arrestation de l’ex-vice-première ministre du Québec, Nathalie Normandeau, le procureur Denis Gallant était sur « la short list » du ministre Martin Coiteux pour remplacer le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière. Après cela, « l’entourage de M. Couillard a imposé Lafrenière », a dit M. Zambito en ajoutant que cela avait déplu au ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux.

Devant le juge, M. Ouellette a confirmé qu’il avait déjà eu des discussions avec M. Zambito, notamment sur le processus de nomination à l’UPAC, mais qu’il n’avait pas accès à la short list des candidats au poste. « J’ai eu des discussions avec M. Zambito sur différentes personnes pressenties », a-t-il dit en signalant que les noms étaient contenus dans un article d’un journaliste de La Presse qu’il avait lu.

Appelé à commenter le dossier au parlement, le premier ministre Couillard a déclaré que son équipe avait considéré dans son choix « la question de la continuité ». « C’est un organisme qui est relativement jeune, à l’époque, qui était en voie d’établissement et de constitution. » Et d’ajouter que « toute parole d’un élu, notamment d’un élu gouvernemental sur une institution comme l’UPAC va déstabiliser les institutions et les rendre plus fragiles ».

Privilège parlementaire invoqué

 

Le député a également dû répondre à des questions sur un article paru dans L’Actualité. Dans ce texte paru en avril 2016, le journaliste Louis Lacroix racontait qu’un homme se faisant appeler « Pierre » leur avait proposé, à lui et à trois collègues, de leur fournir de la preuve accumulée par l’UPAC contre des politiciens. Jeudi, M. Ouellette a dit ne pas avoir pris connaissance de cet article, mais qu’il en avait « entendu parler ».

Au fil de l’interrogatoire de M. Ouellette, les avocats lui ont en outre posé beaucoup de questions sur son rôle de président de la Commission des institutions, laquelle a notamment un mandat de surveillance de l’UPAC. Ils ont notamment cherché à savoir à quels documents internes de l’UPAC le député de Chomedey pouvait avoir accès par l’entremise de la Commission. Or l’avocat de M. Ouellette s’est opposé à ces demandes en invoquant le privilège parlementaire.

Rappelons que M. Ouellette, un ancien enquêteur de la SQ, a été arrêté en octobre par l’UPAC, qui le soupçonnait d’avoir fourni des documents policiers confidentiels à des journalistes. Des perquisitions avaient été menées en même temps chez l’ancien enquêteur-analyste Richard Despaties et l’enquêteur Stéphane Bonhomme, qui ont témoigné avant lui jeudi.

Pendant son interrogatoire, M. Ouellette a reconnu connaître M. Despaties, mais pas M. Bonhomme.

Climat de tension

 

Ces derniers ont mis à jour lors de leurs témoignages respectifs jeudi un climat de tension et de suspicion au sein de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).

« L’ambiance est pourrie », a déclaré en matinée Richard Despaties dans son témoignage. M. Despaties, qui a été suspendu de l’organisation en 2016, a ajouté que les concours pour les postes « étaient pipés » et que le commissaire Robert Lafrenière « plaçait ses chums » dans des postes stratégiques.

Avant lui, Stéphane Bonhomme a raconté qu’il y avait « beaucoup de frustration au bureau ». Un climat, a-t-il dit, pouvant expliquer que certains aient divulgué des informations aux médias sur certaines enquêtes.

Leurs interrogatoires ont en outre révélé qu’un CD contenant des courriels de l’ancien ministre libéral Sam Hamad avait disparu, et la chef d’équipe Geneviève Leclerc a reconnu qu’il n’avait jamais été retrouvé.

M. Despaties, M. Bonhomme et Mme Leclerc ont en commun d’avoir travaillé à un moment donné au sein du Centre de gestion des signalements (CSG) de l’UPAC, qui trie les informations et pistes d’enquête recueillies par l’organisation.

Fuites dans les médias

 

Ils ont tous été appelés à la barre par l’avocat de l’ex-organisateur libéral Marc-Yvan Côté, Jacques Larochelle, qui cherche à démontrer l’existence d’un « système de fuites orchestrées minutieusement pour déstabiliser le gouvernement et le Parti libéral ».

Il veut ainsi obtenir l’annulation du procès de Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté, Bruno Lortie, François Roussy, France Michaud et Mario Martel pour divers chefs de complot, de corruption de fonctionnaires et d’abus de confiance. Selon cette logique, les fuites auraient nui au droit des six coaccusés d’avoir un procès juste et équitable.

Lors d’un autre témoignage en fin de journée, le policier de la Sûreté du Québec mandaté pour enquêter sur les fuites, Michel Comeau, a dit avoir relevé trois motifs pour divulguer des documents aux médias : la mise de côté d’un dossier sur Sam Hamad, le « salissage politique » et la volonté de faire avorter le procès.

La défense l’a par ailleurs prié de commenter les notes manuscrites qu’il avait prises durant sa rencontre avec le député de Chomedey, Guy Ouellette. On peut notamment y lire « coulage Anne-Frédérique Laurence [la porte-parole de l’UPAC] au profit de Robert Lafrenière. Pression à se faire nommer ». Plus loin, on peut lire « Marc Bibeau est la dernière épine au gouvernement libéral ».

À ce sujet, M. Comeau s’en est tenu à des réponses brèves, mais a signalé qu’après la rencontre, il avait posé des questions à Anne-Frédérique Laurence.

Deux journalistes attendus au tribunal

 

Le journaliste Louis Lacroix, auteur de l’article dans L’Actualité mentionné plus haut, doit se présenter au tribunal à ce sujet vendredi, tout comme la journaliste d’Enquête Marie-Maude Denis, dont l’un des reportages contenait des courriels liant Sam Hamad à Marc-Yvan Côté dans le dossier Premier Tech.

Leur avocat Christian Leblanc cherchera à empêcher qu’on les force à témoigner. Depuis octobre dernier, une loi fédérale protège la confidentialité des sources journalistiques. Or les avocats de Marc-Yvan Côté ont dit envisager d’en contester la confidentialité.

Une fois que le juge André Perreault aura pris sa décision sur les témoignages des journalistes, il devra étudier l’ensemble de la requête en arrêt des procédures liée aux fuites médiatiques. Dans un troisième temps, il lui faudra étudier une autre requête de la défense concernant la longueur des délais et l’arrêt Jordan. La date du début du procès est fixée au 9 avril.

La lanceuse d’alerte Annie Trudel du MTQ mentionnée

Il a été question jeudi d’Annie Trudel, ex-analyste indépendante en matière de corruption au ministère des Transports du Québec (MTQ) et lanceuse d’alerte. Dans son témoignage, M. Despaties a raconté que sa propre situation s’était détériorée quand Mme Trudel a porté plainte contre l’UPAC en lui reprochant de n’avoir pas fait enquête sur des documents qu’elle avait transmis.

Il a dit connaître Mme Trudel depuis au moins 2012 et a raconté comment il la contactait à l’occasion durant ses enquêtes pour obtenir des informations liées au MTQ.

M. Despaties avance que le responsable des ressources humaines de l’UPAC, Michel Pelletier « a toujours pensé » que c’était lui qui avait « incité Mme Trudel à porter plainte ». L’ex-policier a ajouté que son congédiement par l’UPAC constituait une « revanche » de la part de M. Pelletier.

M. Despaties a par ailleurs affirmé qu’il n’avait « jamais » incité Mme Trudel à donner de l’information aux médias.

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