De dix à 22 ans de prison pour neuf Hells
Les sentences sont lourdes et garantissent un séjour prolongé derrière les barreaux aux neuf motards criminels membres des Hells Angels et des Rockers. Le juge Pierre Béliveau, qui présidait le mégaprocès, s'est visiblement montré favorable aux arguments de la Couronne, distribuant entre 10 et 22 ans de prison. En soustrayant les jours de détention préventive, qui comptent double, les détenus purgeront entre six ans et neuf mois et 16 ans et neuf mois.
Au début de mars dernier, à l'issue d'un mégaprocès qui aura duré plus d'un an, le jury avait déclaré les neufs motards coupables de 26 des 27 chefs d'accusation. Restait à connaître les peines qui leur seraient imposées. C'était la première fois au Canada qu'un jury, plutôt qu'un juge seul, était appelé à trancher des accusations relatives à la loi antigangs, adoptée en 1997.En rendant publiques les peines d'emprisonnement tout juste après 10h hier matin au Centre judiciaire Gouin, le juge a tenu à souligner que les motards méritaient des peines exemplaires et qu'ils étaient sans espoir de réhabilitation, sauf Ronald Paulin et Alain Dubois.
Les sentences sont passablement différentes d'un individu à l'autre. Ainsi, dans le détail, les peines se lisent comme suit: Alain Dubois écope de 10 ans; Ronald Paulin, 12 ans; Sébastien Beauchamp, 13 ans; Éric Fournier, 18 ans; André Couture, 18 ans; Bruno Lefebvre, 18 ans; Sylvain Moreau, 20 ans; Luc Bordeleau, 20 ans; Richard Mayrand, 22 ans. Sébastien Beauchamp a été déclaré non-coupable de complot pour meurtre, contrairement aux huit autres accusés.
La Couronne réclamait entre 14 et 29 ans de pénitencier alors que la défense estimait que de cinq à quinze ans étaient suffisants. Les membres des Hells Angels et des Rockers ont été reconnus coupables de complot pour meurtre, de trafic de drogue et de gangstérisme. Ils avaient été arrêtés lors de la rafle de 93 personnes lors de l'opération Printemps 2001, qui visait à décapiter le crime organisé. De ce nombre, il ne reste que 14 accusés à juger.
Si les sentences sont sévères, c'est toutefois une des décisions du juge Béliveau qui a alimenté les discussions dans le milieu juridique hier. Le magistrat a en effet blâmé les avocats de la défense pour la lenteur du procès et a par conséquent puni davantage leurs clients. Selon Pierre Béliveau, le procès aurait pu durer six mois, mais les tactiques dilatoires utilisées par les avocats, notamment en refusant des admissions sur des preuves «incontestables et incontestées», ont fait indûment traîner les procédures.
Donc, avant juin 2003, le temps passé à l'ombre compte double, mais après cette date, Pierre Béliveau a décidé que l'emprisonnement compterait simple, ce qui, en bout de piste, affecte moins les sentences prononcées hier. Cette première, qui se retrouvera certainement dans tous les cours de droit, pourrait toutefois être contestée en appel par certains motards, selon des criminalistes.
Étant donné qu'ils ont été reconnus coupables de gangstérisme, les motards ne seront admissibles à une libération conditionnelle qu'à la moitié de leur sentence. Il y a par contre deux exceptions. Alain Dubois, qui avait quitté les Rockers au moment de son arrestation, a été jeté en prison pour neuf ans et neuf mois mais n'aura pas d'emprisonnement minimal à purger avant de pouvoir réclamer une libération. Ronald Paulin, dont le rôle dans la commission des crimes a été moindre, sera admissible à une libération conditionnelle dans deux ans et demi.
Selon le spécialiste des bandes de motards Guy Ouellet, interrogé hier par le réseau RDI, le jugement «va se retrouver sur le fax de toutes les bandes de motards criminels du pays». «C'est un des jugements les plus complets que j'ai vus, a-t-il dit. On tourne un autre chapitre dans l'éradication des motards criminels. Les sentences sont appropriées.»
M. Ouellet estime par contre que le crime organisé reste bien présent dans le paysage, même si «les jeunes générations de motards n'ont pas encore pris la relève aussi bien que ceux qui viennent d'être condamnés». Est-ce que tout sera à recommencer bientôt? Peut-être pas: en effet, «la police est beaucoup mieux préparée qu'avant pour faire face à ces bandes criminelles».
Le chef des Hells Angels de l'Ontario, l'imposant Paul «Sasquatch» Porter, a d'ailleurs été arrêté mercredi lors d'une opération d'envergure visant à démanteler un réseau de voleurs de voitures de luxe. Un autre coup dur pour l'organisation criminelle.
Dans son plaidoyer prononcé le 22 mars dernier, la procureure de la Couronne, Madeleine Giauque, n'avait pas manqué de souligner au jury que la guerre des motards avait fait 160 victimes entre 1997 et 2001. «Cette guerre, il ne faut pas l'oublier non plus, a perturbé la paix sociale et mis en péril la sécurité des citoyens», avait-elle lancé.