Les crimes haineux ont atteint un sommet en août

Les membres de Storm Alliance s’étaient donné rendez-vous à Lacolle afin de protester contre l’arrivée de demandeurs d’asile irréguliers.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Les membres de Storm Alliance s’étaient donné rendez-vous à Lacolle afin de protester contre l’arrivée de demandeurs d’asile irréguliers.

L’arrivée en grand nombre de demandeurs d’asile l’été dernier a déclenché une vague de crimes haineux encore plus grande que celle suivant l’attentat à la grande mosquée de Québec, a appris Le Devoir. Au mois d’août 2017, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a retenu et classé dans le classeur « crimes haineux » 42 signalements — surtout observés sur les réseaux sociaux —, contre 31 en février. Au total, près de 250 crimes haineux ont été rapportés l’an dernier, pour une moyenne d’environ 20 par mois.

« On a vu une hausse en 2017, tant du côté des crimes que des incidents haineux, mais si on regarde seulement les crimes, oui, il y en a eu encore plus au mois d’août qu’en février », a affirmé Line Lemay, lieutenante-détective, chargée des enquêtes à la division crime, prévention et sécurité urbaine du SPVM. En ajoutant les « incidents » — desquels ne peuvent découler des accusations en vertu du Code criminel —, c’est toutefois en février, tout juste après la tuerie de Québec, que la police recense le plus de signalements haineux.

Selon Mme Lemay, le triste record de crimes haineux du mois d’août est dû à la grande attention médiatique portée sur les migrants, surtout d’origine haïtienne, qui arrivaient en grand nombre au Québec depuis les États-Unis. « On a pu faire le lien parce que ce qu’on avait comme événement au mois d’août et un peu avant, c’était l’arrivée des Haïtiens et des migrants qui provenaient massivement des États-Unis », a-t-elle indiqué. « Dès qu’on a des événements très médiatisés, on le voit qu’il y a une polarisation [des idées]. Ça se reflète sur les réseaux sociaux. »

Mais les personnes d’origine haïtienne n’ont pas été visées plus que d’autres. « C’est vraiment parti dans tous les sens, a-t-elle dit. [Les crimes haineux], c’était autant l’extrême droite qui émettait des opinions qui pouvaient s’avérer des menaces que des gens de l’extrême gauche qui répondaient à ça. »
 

Montée de la haine

Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence constate aussi cette tendance, car, fait nouveau, sur les 166 appels reçus pour signaler des crimes et incidents haineux, surtout à l’endroit des musulmans, une vingtaine provenait de personnes de l’extrême droite qui tenait un discours raciste au sens large. « Les messages étaient dans un contexte où il y avait un certain discours politique et idéologique. Du genre, le Québec est une société blanche, on n’a pas besoin d’eux », a souligné Herman Deparice-Okomba, directeur général du centre.

« Beaucoup de propos haineux. J’en ai vu beaucoup », estime pour sa part Anastasia Marcelin, une bénévole qui a beaucoup aidé les migrants cet été et qui s’est présentée dans Montréal-Nord comme conseillère pour Projet Montréal. « Sincèrement, je n’ai pas aimé comment ça s’est passé. […] Je peux comprendre le ressentiment de certaines personnes lorsqu’ils sont tous arrivés », dit-elle en faisant allusion à la vague de demandeurs d’asile. « Mais ce n’était pas une raison pour menacer quiconque. Des gens insultaient [les migrants], disaient que c’était des esti de chiens sales. “Allez-vous-en chez vous.” Je supprimais des commentaires sur ma page [dans les réseaux sociaux] », témoigne-t-elle.

Serge Bouchereau, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, parle d’une quantité « sans précédent » de commentaires et propos haineux. « C’est toujours la même chose. On entend : “Ces gens-là viennent voler nos jobs, on devrait les foutre dehors”, dit-il. Mais aucun de nos demandeurs d’asile ne nous a rapporté avoir été menacé physiquement. »

Surtout sur Internet

 

La lieutenante-détective du SPVM a en effet constaté que la plupart des crimes haineux provenaient d’Internet et des réseaux sociaux. « Assurément, il y a une tendance », a-t-elle indiqué. Selon M. Bouchereau, il y a là un « déversoir » pour les opinions de chacun qui parfois dépassent les bornes. « Surtout avec l’arrivée de Trump aux États-Unis, ça a décomplexé certaines personnes », analyse-t-il. « Cependant, c’est quand les propos haineux sont jugés par un tribunal qu’on peut les considérer réellement comme des crimes. »

Les crimes haineux sont passés de 158 en 2016 (de mars à décembre) à près de 250 pour toute l’année 2017. Quant aux « incidents » haineux — soit une parole agressive par opposition à une menace de mort ou des oeufs sur une mosquée par opposition à une roche qui brise une vitre —, le SPVM en a recensé 173 en 2017, contre 160 l’année précédente (de mars à décembre 2016).

À quelques jours du 29 janvier, alors que sera commémorée la tuerie de la grande mosquée de Québec, la division des crimes haineux de la lieutenante-détective Lemay est sur le pied d’alerte. « On va suivre ça de près et voir si la commémoration a une incidence », dit-elle. À son étonnement, cela ne semble pas avoir eu d’impact jusqu’ici.

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