Une entrevue avec Ikonga Wetshay - La place de l'autre

Reconnue comme la confession religieuse chrétienne la plus progressiste à travers le monde, l'Église Unie rassemble plus de trois millions de fidèles au Canada, où elle se présente aussi comme la plus importante communauté protestante. Au Québec, l'église Saint-Jean, située sur la rue Sainte-Catherine, est le lieu de culte privilégié des fidèles francophones montréalais. Ikonga Wetshay en est le pasteur.

Pasteur rattaché à une église inaugurée en 1896, Ikonga Wetshay témoigne du thème de la tolérance et du respect primordial de la vie. En premier lieu, il fait ressortir des exemples qui émanent du passage sur terre de Jésus et de la Passion du Christ. «Le plus frappant, c'est celui de la femme adultère surprise en flagrant délit par des gens. Les pharisiens l'ont amenée à Jésus pour qu'il approuve sa condamnation à une peine de lapidation, comme la coutume le voulait. Tout de suite, il a répliqué en leur disant: "Écoutez, que celui d'entre vous qui est sans faute et sans péché lui jette la première pierre."»

Jésus a choisi, dans la société de son époque, le camp des marginaux qui étaient généralement rejetés, comme les lépreux, les prostituées, les ivrognes et autres démunis: «Il a compris la faiblesse humaine dans son ensemble et il a choisi d'aller auprès de ces gens, de les côtoyer et de les aider.» Il leur a même accordé le pardon: «Il s'est rendu au-delà du seuil même de la tolérance. Il les a acceptés comme étant la priorité de sa mission.» Au sujet de l'attitude du Christ lors de la crucifixion, le pasteur retient ce comportement: «Il aurait pu répondre de façon agressive à ses bourreaux. Il leur a plutôt dit: "Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font."»



Tolérance et paix

Sur la question de la paix, il fait d'abord valoir cet argument: «La tolérance, on l'utilise d'abord parce qu'on sait que chacun d'entre nous a des faiblesses et des défauts. Dans une perspective chrétienne, nous sommes tous des êtres créés à l'image de Dieu.» L'objectif à viser, c'est de ne pas créer une situation qui aliène et ternit la vie humaine; effectivement, c'est de parvenir à une situation de paix et de concorde à l'intérieur de laquelle la vie se renouvelle constamment. «La tolérance s'inscrit parfaitement dans ce cadre-là; celle-ci devient un aspect important du vécu à partir du moment où on a compris l'importance de la vie humaine, la nécessité de la maintenir et de la perpétuer sans cesse pour que la vie continue à avoir du sens, et pour que les êtres humains vivant dans une même société s'épanouissent au jour le jour.»

Sans la compréhension de ce qu'est la vie humaine et de l'importance qu'elle revêt, il n'existe pas de tolérance: «Le premier pas, c'est de savoir que chacun a été créé à l'image de Dieu et qu'il a droit à la vie. J'ai droit à celle-ci et l'autre aussi. Dès qu'on a compris cela, on peut même aller au-delà de la faiblesse de l'autre et user d'une tolérance qui prend tout son sens.»

Tolérance et mondialisation

Le pasteur Wetshay défend ces principes en matière de mondialisation: «En premier, il importe de bien gérer l'espace de vie de notre monde dans l'espoir de parvenir à une vie meilleure pour tous. Ensuite, on doit reconnaître que les richesses du monde appartiennent à tous; de là émane le souci de chercher un partage équitable de celles-ci.»

Il prône la paix et l'équilibre sur terre et pour l'ensemble des gens qui l'habitent; il dénonce certains comportements: «On doit tenir compte de deux pôles, dont celui du combat qu'il faut mener contre des injustices dues à une organisation subtile du marché par des gens qui contrôlent l'économie du monde; en ce sens, on ne doit pas les laisser continuer dans cette direction parce qu'ils ne sont pas les seuls à vivre dans cet espace habité, qui est à partager. Il faut sans cesse mener le combat qui interpelle ces gens-là et qui les invite à considérer aussi les droits des autres.»

Tolérance citoyenne

L'Église Unie figure parmi les plus progressistes de toutes; notamment, elle autorise les personnes divorcées à se remarier religieusement et les femmes peuvent accéder à la prêtrise au sein de cette communauté religieuse. Il considère que son Église arrive à épouser les contours de sociétés contemporaines devenues plus hétérogènes et complexes en raison de la nature même du christianisme: «La substance du message chrétien, tel que l'appréhende l'Église Unie, en est une d'universalité; c'est un message d'universalité et d'amour, qui s'inspire de ce qu'a été le Christ lui-même, c'est-à-dire de quelqu'un doté d'une vision qui ne s'arrête pas simplement au niveau de sa culture et de son entité régionale.»

Il précise sa pensée sur l'ouverture d'esprit face aux autres: «Jésus-Christ arrive; il voit alors la compartimentation qui existe à l'intérieur de la perspective juive; celle-ci pose des murs, des barrières entre les juifs et les non-juifs, entre les circoncis et les non-circoncis. Il se présente et il dit "non ce n'est pas cela; ce que Dieu veut, c'est que tout le monde soit sauvé et vive socialement, spirituellement et physiquement bien, donc que chacun s'épanouisse là où il se trouve". Il capte toute cette réalité et il met tout le monde dans le même moule. De cette façon, il libère les gens de cette espèce de carcan. Il souhaite que tout le monde bénéficie des mêmes prérogatives en provenance de Dieu, qui accorde gratuitement le salut à tous.» L'Église Unie s'approprie ce point de vue parce que, pour elle, la diversité culturelle est un enrichissement qui s'inscrit dans la vision universelle du Christ: «L'autre est pour moi à la fois force et faiblesse, ce que je suis également pour lui. Par conséquent, il faut construire un monde de cohabitation et de coexistence dans l'enrichissement mutuel.»

Tolérance religieuse

Le dialogue interreligieux se poursuivrait toujours et le respect entre les diverses confessions s'accentuerait. Au départ, un groupe restreint était impliqué dans cette initiative et dans ce mouvement au moment où fut lancé le concept de l'oecuménisme. Puis survint l'institutionnalisation de cette idée, qui a donné naissance à un courant mondial oecuménique des Églises: «Les enseignements étaient donnés dans l'objectif de faire comprendre à chaque tendance religieuse chrétienne qu'on reposait tous sur le même fondement qu'est le Christ. On partage le même Dieu, le même Christ et le même esprit. Il n'y avait donc pas de raison de se faire des guerres mutuellement.»

Il note à ce chapitre que les avancées sont assez considérables au niveau local et à celui des chrétiens de la base: «Il y a des groupes de rencontre et de réflexion qui se sont mis en place ainsi que des journées de célébration communes, de prière et de partage, qui se déroulent.» Il pose toutefois un bémol: «Il est certain que, du côté des leaders institutionnels et ecclésiastiques, certaines réserves se posent. Il faut avancer avec prudence tout en contrôlant ses options doctrinales, sa pratique religieuse et sa sensibilité. Il importe de ménager les sensibilités tant chez les uns que chez les autres. Il ne faut pas se détruire et plutôt se considérer comme les enfants d'une même famille et d'une même maison.»

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