Églises à l'américaine
Quel est l'état actuel des Églises américaines? De leur multiplicité et de l'influence qu'elles exercent sur leurs sociétés.
À l'opposé des pays occidentaux, qui ont tous connu un fléchissement de la ferveur religieuse, les États-Unis connaissent même un regain d'intérêt pour la religion. «Toutes les Églises fleurissent aux États-Unis, avance M. Gregory Baum, et ce phénomène ne se limite pas aux seuls chrétiens, mais s'étend aussi aux juifs et aux musulmans.»Pour cet ancien professeur émérite de théologie à l'université McGill, cette situation a ceci de particulier qu'elle vient déjouer les sociologues qui prédisaient une perte de religion dans les sociétés axées sur la science et les technologies, comme le sont les États-Unis. Gregory Baum avance trois hypothèses en guise d'explication.
Il y a d'abord la grande mobilité de la population aux États-Unis. «Comme les gens déménagent beaucoup et souvent, ils s'identifient plus facilement à leur Église qu'à leur ville. De plus, partout où ils vont, leurs églises leur procurent un réseau auquel ils peuvent s'identifier et s'intégrer.» Le fort taux d'habitants issus de l'immigration aux États-Unis joue aussi un rôle déterminant puisque c'est souvent par la religion que les immigrants prennent et gardent racine avec leur passé et leur culture. «Il y a aussi le mythe que la nation américaine est un pays béni de Dieu, rajoute M. Baum. Une sorte de nouvel Israël dont le peuple doit nécessairement être croyant.»
Des millions
de catholiques
Même si la majorité des croyants aux États-Unis sont des protestants, l'Église catholique demeure la plus importante institution religieuse du pays, du moins en ce qui a trait au nombre de ses fidèles, qu'on estime à plus de
60 millions. Reconnue par le passé pour la grande implication de ses membres, l'Église catholique américaine connaît depuis quelques années un déclin institutionnel, selon Solange Lefebvre du Centre d'étude des religions de l'Université de Montréal. «On peut dire que l'implication a baissé et rejoint aujourd'hui celle des protestants.»
Une partie de ce déclin est sans doute attribuable au scandale lié aux abus sexuels commis par le clergé qui secoue encore cette institution religieuse. Le problème ne date pas d'hier, selon Jean-Guy Nadeau, professeur à la faculté de théologie de l'Université de Montréal. «Les premiers cas qui ont fait la manchette datent du milieu des années 1980.»
Pendant longtemps, l'Église catholique a choisi d'agir de manière traditionnelle devant le comportement sexuel de ses prêtres. «On changeait le prêtre de paroisse ou on l'envoyait en cure psychologique jusqu'au moment où on le jugeait apte à reprendre le ministère. On approchait toujours le problème du strict point de vue individuel.» Et si les victimes menaçaient de poursuivre, l'Église s'empressait de régler le litige hors cour. «Ces règlements hors cour ont coûté des centaines de millions à l'Église catholique américaine.»
Cette réaction traditionnelle de l'Église catholique, qui consistait au fond à occulter le problème, n'a pas pour autant réussi à faire taire la controverse, qui se poursuit encore, et l'Église s'est vue dans l'obligation de faire son examen de conscience en mettant sur pied des commissions d'enquête. «Les derniers rapports pointent du doigt l'épiscopat américain, qu'on accuse d'avoir mal géré les cas d'abus sexuels et de les avoir en quelque sorte cautionnés par leur silence complice. On a aussi mis en place une politique de tolérance zéro mais qui, pour le moment, demeure théorique puisque Rome ne l'a pas encore acceptée.»
Ce scandale apporte de l'eau au moulin des catholiques libéraux qui prônent, entre autres, l'abolition du célibat des prêtres et une présence accrue des femmes au sein de l'Église, y compris leur accès au ministère. Mais ce n'est pas suffisant, croit M. Nadeau, pour ébranler l'épiscopat américain, qui demeure toujours très conservateur. Cela est d'autant plus vrai que seuls des conservateurs ont été nommés évêques par le Saint-Siège depuis le pontificat de Jean-Paul II. «Je ne pense pas que l'Église américaine va vivre une crise ecclésiastique. Mais elle vivra sans doute une crise spirituelle. Ce scandale a fait en sorte que plusieurs fidèles ont perdu confiance dans l'Église.»
Le protestantisme aux
140 000 congrégations
Contrairement au catholicisme, fortement hiérarchisé, le protestantisme américain se distingue par la multiplicité des Églises et des congrégations. À titre d'exemple, le National Council of Churches regroupe en son sein 36 dénominations religieuses réparties en 140 000 congrégations. Comme la participation à cette association se fait sur une base volontaire, le portrait qu'elle donne de la situation est loin d'être exhaustif.
L'origine de la multiplicité des dénominations protestantes réside dans l'histoire même des États-Unis. «Les premiers colons, comme les Quakers par exemple, fuyaient la répression religieuse, explique Wesley Peach, pasteur de l'Église évangélique de Deux-Montagnes. Arrivés en Amérique, ils ont voulu garantir la liberté de culte et ils ont compris que la tolérance des autres était la voie à suivre.»
Parmi les grandes dénominations protestantes, notons, entre autres, les luthériens, les presbytériens, les calvinistes, les baptistes, les anglicans, qui prennent ici le nom d'épiscopaux, et les méthodistes. «Il y a au sein de toutes ces Églises dites traditionnelles deux courants de pensée, explique Gregory Baum. D'un côté, les conservateurs, attachés aux traditions, et de l'autre côté, les libéraux, plus ouverts à la modernité.»
Mais les distinctions ne s'arrêtent pas là. Certains groupes, au sein même de ces dénominations, se distinguent par un conservatisme encore plus strict. Ce sont les Églises fondamentalistes dont les croyances reposent sur une lecture littérale de la Bible et du Nouveau Testament. Le fondamentalisme est apparu au début du XXe siècle en réaction aux idées modernes de l'époque. Ce sont les fondamentalistes qui ont contesté — et qui contestent encore — la véracité de la théorie de l'évolution.
De droite et républicaine
En réaction au fondamentalisme, jugé trop sévère par certains, est né dans les années 1950 ce que l'on nomme «l'évangélisme». Le prédicateur Billy Graham est issu de cette mouvance. Certaines Églises ont aussi adopté ce point de vue. On peut donc avancer qu'aujourd'hui aux États-Unis, un fidèle peut être, par exemple, un baptiste traditionnel, de droite comme de gauche, ou un baptiste fondamentaliste, ou même un baptiste évangélique. Idem s'il est méthodiste. «C'est une véritable soupe minestrone», remarque Marc Nadeau, étudiant au doctorat à la faculté de théologie, éthique et philosophie de l'Université de Sherbrooke.
Et pour ajouter à la confusion, il existe ce qu'on nomme la droite religieuse. «Il s'agit d'une coalition qui regroupe toute la droite religieuse, peu importe la dénomination, explique Marc Nadeau. Le point de ralliement est l'idée que les actions que l'on pose doivent être conséquentes avec les croyances que l'on a.» Un principe qui mène cette droite religieuse à agir en tant que lobby politique afin que les actions des élus correspondent à leurs croyances profondes. «Ce sont des conservateurs et des républicains qui voient en George W. Bush le candidat idéal», soutient Marc Nadeau, dont la thèse de doctorat porte justement sur la présidence de Bush fils.