Les obèses dans la mire des assureurs

Après les accros du tabac, c'est au tour des adeptes de la bouffe minute et autres aliments trop riches en calories de payer pour leurs mauvaises habitudes de vie. Comment? En assumant à l'avenir des primes d'assurance-vie beaucoup plus élevées que la moyenne, prévient aujourd'hui la Swiss Re, l'un des réassureurs les plus importants au monde.
La chose, déjà entendue pour les inconditionnels des volutes de fumée, menace donc maintenant les personnes souffrant de surcharge pondérale. Et avec raison, analyse le géant helvétique de la couverture de risques, puisque leur goût prononcé pour les fritures, le sucre ou les petits plats mitonnés en usine expose cette espèce, loin d'être en voie de disparition dans nos sociétés, à des problèmes de santé. Problèmes qui, à court, moyen et long terme, pourraient bien coûter très cher aux compagnies d'assurances.«Le secteur de l'assurance-vie devra s'attaquer aux problèmes liés à la progression de l'obésité, veillant dans cette optique à ce que les risques afférents soient évalués et tarifés avec précision et à ce que les consommateurs se voient facturer une prime en rapport avec le risque qu'ils présentent», explique la Swiss Re dans un document de 50 pages intitulé L'impact de l'obésité sur les tendances de mortalité: un problème difficile à ignorer, rendu public plus tôt cette semaine.
Face à «l'épidémie croissante» d'obésité qui frappe les pays développés, l'inertie n'est guère de mise, estime d'ailleurs le réassureur — l'assureur des assureurs —, dont les lignes directrices, réflexions et rapports influencent immanquablement les pratiques et le contenu des polices d'un grand nombre de compagnies d'assurances à travers le monde. «Si la prévalence de l'obésité n'est pas maîtrisée, ce sont les consommateurs qui en paieront les frais», a expliqué mardi par voie de communiqué Ronald Klein, responsable mondial de la tarification du secteur vie et santé chez Swiss Re.
La menace est là. Mais le portrait dressé par son collègue, l'analyste Ernest Eng, dans ce rapport technique sur la perception des risques, adressé aux assureurs, est loin de laisser présager que le portefeuille des consommateurs sera finalement épargné par la propagation des mauvaises habitudes alimentaires et leurs effets délétères sur la santé humaine.
C'est que depuis les 30 dernières années, l'obésité collective se porte assez bien merci, et ce, tant dans le monde occidental, où de 10 à 20 % des hommes et 10 à 25 % des femmes en souffrent, selon l'International Obesity Taskforce, que dans les pays en développement, où l'excès de tissus adipeux est en train de remplacer, sous l'effet de la mondialisation des (mauvais) comportements alimentaires, «la malnutrition et les maladies infectieuses comme source principale de problèmes de santé», écrit l'analyste.
Pis encore, à cause du déficit d'encadrement parental et scolaire, des jeux vidéo et de la télévision, poursuit-il, cette surcharge pondérale est désormais en train d'envahir les jeunes de quatre à onze ans. Chez cette tranche d'âges, la prévalence de l'obésité a en effet doublé en 20 ans aux États-Unis alors qu'elle continue sa progression au Royaume-Uni, en France, en Nouvelle-Zélande et même au Canada, peut-on lire.
Le constat n'a d'ailleurs rien d'encourageant. Pour les systèmes de santé, précise M. Eng, mais aussi, à moyen ou long terme, pour l'industrie de l'assurance-vie, qui devra composer avec «l'effet cohorte», c'est-à-dire une prévalence accrue d'obésité chez les futures populations adultes, induite par l'augmentation des enfants obèses aujourd'hui, écrit-il.
Rappelons que l'obésité, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), renvoie à un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. Cet indice se calcule en divisant le poids, en kilos, par le carré de la taille, en mètres. Un IMC dit normal doit se situer entre 18,5 et 24,9. Entre 25 et 29,9, c'est d'embonpoint qu'il est question, alors qu'au delà de 40, l'obésité devient morbide.
Cette mathématique du gras est connue des médecins, des nutritionnistes et même des assureurs, qui semblent toutefois très peu en tenir compte, juge la Swiss Re. À preuve: au nom de la saine compétition au sein de l'industrie de l'assurance-vie, un secteur fort lucratif, les compagnie d'assurances tendent «à appliquer des cotes basses aux demandeurs obèses ou faisant de l'embonpoint, malgré les connaissances médicales qui justifient le contraire», peut-on lire. Les problèmes de surpoids sont en effet associés, comme l'abus de tabac, à une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires et du diabète mais aussi à une mortalité prématurée.
Un lien de cause à effet que la Swiss Re juge donc opportun de rappeler aujourd'hui aux assureurs du monde afin qu'ils réajustent leur pratique en fonction de cette réalité pesante qui pourrait bien mettre à mal leur profitabilité.