Montréal - Le Quartier latin sous surveillance électronique
La police et les commerçants du Quartier latin en ont plein les bras avec les vendeurs de drogue et la criminalité qui sévit dans ce secteur de Montréal. Les efforts déployés «depuis des décennies» pour enrayer la vente de stupéfiants n'ayant rien donné de concret, comme le reconnaît le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il faut désormais passer à la vitesse supérieure et tenter de nouvelles expériences. Des caméras seront donc installées le long de la rue Saint-Denis, entre les rues Sherbrooke et René-Lévesque, question d'accumuler des preuves contre les malfrats du secteur, une première à Montréal. Mais déjà, certains s'inquiètent de cette incursion dans la vie privée des gens.
Le nombre de caméras et les endroits où elles seront installées dans le Quartier latin n'ont pas été dévoilés lors de la conférence de presse conjointe tenue hier par le SPVM et la Ville de Montréal. Mais l'angle des rues Saint-Denis et de Maisonneuve, en face de la station de métro Berri-UQAM, sera vraisemblablement très surveillé, là où l'activité criminelle est bien visible.Les caméras seront reliées à un local du poste de police 21. Aucun policier n'observera les passants en direct mais les enregistrements seront gardés pendant sept jours. Ces documents vidéo pourront être utilisés lors d'éventuelles poursuites ou afin de retracer l'auteur d'un acte violent qui aurait échappé aux agents sur place.
Ce projet-pilote commencera le 1er mai et s'étalera jusqu'à la fin d'août. «C'est notre période la plus critique», a expliqué Johanne Paquin, commandant du poste de police 21. L'an dernier, uniquement dans le quadrilatère autour du théâtre Saint-Denis, 300 arrestations ont été effectuées et plus de 500 accusations portées, surtout reliées au commerce de la drogue. Après le 30 août, une évaluation du projet sera faite pour déterminer son succès.
Il faudra que les caméras soient bien discrètes: en effet, des jeunes habitués à commercer devant la station de métro ont affirmé au Devoir que le système de surveillance ne fera pas de vieux os. «On va les briser, leurs machines», a dit l'un d'eux. Un autre ne s'en formalisait pas trop. «On va aller plus loin pour vendre aux clients, pas besoin de faire la transaction ici.»
Le SPVM a prévu le coup. «On a un plan de débordement qui est prêt pour que l'activité criminelle ne se déplace pas dans les rues environnantes, a soutenu Johanne Paquin. Il y aura plus de policiers dans le secteur, et ce, jour et nuit. Si les vendeurs peuvent aller dans les rues autour, c'est loin d'être sûr que les clients vont suivre. C'est parce que c'est un coin très achalandé, avec 300 000 passants par jour, que les affaires criminelles marchent bien.»
Attention à la vie privée
Le SPVM et la Ville de Montréal ont nié que ce projet-pilote, s'il s'avère concluant, pourrait devenir permanent ou même être étendu à d'autres quartiers chauds de la métropole, comme Hochelaga ou Montréal-Nord. «Les règles de la Commission d'accès à l'information, qui balise ces pratiques, sont très sévères, a dit Johanne Paquin. On utilise les caméras comme un outil supplémentaire de dernier recours, quand rien ne fonctionne, et seulement à l'intérieur d'une période de temps bien défini.»
Malgré tout, cette innovation, qui aura à peine coûté 44 000 $, inquiète les défenseurs de la vie privée. «Il ne faudrait pas que Montréal devienne comme Londres, ce serait affreux!», a soutenu l'avocat Julius Grey, spécialiste des libertés individuelles. Dans la capitale britannique, une étude a déjà démontré qu'un passant pouvait être filmé jusqu'à 300 fois par jour. Presque toute la ville est quadrillée par un système de surveillance. Julius Grey reconnaît toutefois qu'on ne peut pas restreindre le recours à la technologie, souvent plus utile qu'un témoin oculaire.
«Il faut faire bien attention à la façon dont ces enregistrements seront utilisés, estime Ginette L'Heureux, porte-parole de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Ça peut être préjudiciable. Et la grande question, c'est où ça va s'arrêter? Si ça marche bien dans le Quartier latin, on risque d'en voir apparaître dans les parcs ou près des bars où il y a souvent de la bagarre. Quand la surveillance vidéo devient le seul moyen d'enrayer la criminalité, ça ne va pas.»