Enquête sur les femmes autochtones: «L’État a failli à son devoir»

Après 25 ans de silence, Noëlla Mark a raconté cette semaine les sévices sexuels infligés dans son enfance par un prêtre oblat.
Photo: CC: ENFFADA Après 25 ans de silence, Noëlla Mark a raconté cette semaine les sévices sexuels infligés dans son enfance par un prêtre oblat.

La portion québécoise de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) révèle davantage d’abus de type institutionnels qu’ailleurs au pays, constate la commissaire Michèle Audette au terme de la première semaine de l’enquête au Québec.

« Dans les autres provinces, on a entendu beaucoup de cas de meurtres et de disparitions douteuses non résolus. On l’a entendu aussi au Québec, mais ce qu’on a surtout entendu, c’est la violence institutionnelle », résume Michèle Audette en entrevue au Devoir.

« On a entendu des histoires sur la “déportation”, sur des agressions par un prêtre, mais aussi des histoires d’enfants malades que l’on envoyait seuls à l’hôpital en hélicoptère et dont les parents étaient tenus sans nouvelles et se faisaient dire, quelques semaines plus tard, que l’enfant était mort et enterré dans un lieu de sépulture pas toujours connu. Ce sont des choses qu’on n’a pas entendues beaucoup dans l’Ouest canadien et dans les Prairies. »

Les témoignages québécois permettent, selon elle, de démontrer « les causes systémiques » de la discrimination envers les autochtones.

« Ce n’est pas juste dans les écoles résidentielles, c’est tout un système. Affamer une nation, la maintenir dans l’extrême pauvreté et la menacer pour accroître sa dépendance, ça témoigne d’une culture institutionnelle. Aujourd’hui, on ne menace pas les autochtones de la même façon, mais ils sont encore dans l’extrême pauvreté. »

D’hier à aujourd’hui

Bien que certains témoignages remontent à plus de 60 ans, d’autres sont tout récents, ce qui permet aux commissaires de « voir comment la pratique s’est instaurée — ou imposée — pendant 60 ans pour nous mener jusqu’à aujourd’hui », explique Michèle Audette.

C’est ainsi, illustre la commissaire, qu’on en arrive à l’histoire d’une femme autochtone qui, en une seule soirée en juillet 2017, a subi « cinq formes de discrimination » par des acteurs divers, dont une entreprise privée, les policiers et les services de santé.

La commissaire fait référence au témoignage de Sylviane Bellefleur, de Natashquan, qui a raconté jeudi avoir été jetée dehors, sans raison, d’un restaurant de Québec où elle voulait manger avec sa famille. Péniblement, elle a décrit comment la serveuse aurait refusé de la servir et l’aurait insultée avant de la forcer à quitter le restaurant. Son voisin de table l’aurait poussée et insultée. À l’extérieur, six policiers attendaient la famille.

La dame raconte avoir été menottée et traînée dans la ruelle où elle est tombée au sol. Les policiers et les ambulanciers l’ont ridiculisée et brutalisée, répétant qu’elle était autochtone et agressive. À l’hôpital, même traitement. Effrayée, elle s’est enfuie et a réussi à rejoindre son mari, qui la cherchait désespérément.

Abandonnées

 

La semaine a été lourde en émotions. Des femmes ont accepté de rompre le silence en témoignant des sévices sexuels causés par un missionnaire de la Côte-Nord et par des policiers.

D’autres ont pleuré la perte de leurs bébés à la suite de leur hospitalisation dans les années 1970. L’une d’elles, qui a perdu trois enfants, a raconté qu’elle croyait, à l’époque, que c’était une forme « d’offrande » qu’on lui demandait en échange des nouvelles maisons que la communauté avait reçues.

Toutes se sont senties abandonnées. « Toute cette violence vient d’institutions dans lesquelles on devrait avoir confiance. Nous sommes dans un État de droit, un État providence qui devrait pouvoir protéger ses citoyens et leur donner des réponses. Mais l’État ne le fait pas avec ces familles-là. C’est pour ça que c’est aussi frappant, l’État a failli à son devoir », estime Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme en études autochtones à l’Université de Montréal.

Selon l’anthropologue, cette violence se traduit aujourd’hui par un manque de confiance des communautés envers les institutions de l’État.

« C’est une violence très forte que de ne pas pouvoir porter plainte lorsqu’il arrive quelque chose. Alors, elles vivent avec cette souffrance et, comme la souffrance n’est pas résolue, elle est transmise de génération en génération. C’est très destructeur. »

Comme plusieurs, l’anthropologue constate que les attentes des familles sont élevées envers la commission d’enquête nationale.

« On se pose encore beaucoup de questions sur l’étendue des pouvoirs qu’a cette commission. Les gens attendent un pouvoir d’investigation et de justice. Alors, qu’est-ce que ça va donner ? Je suis la première à me le demander. J’espère que ça ne va pas rester au stade de la prise de parole et de l’envoi momentané de services psychologiques, parce que là, les blessures se sont rouvertes. » 

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