Six mois dans l’espace pour mieux vivre sur Terre

L’astronaute David Saint-Jacques a rencontré la presse, mercredi à Saint-Hubert, pour expliquer les expériences qu’il mènera dans la Station spatiale internationale.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne L’astronaute David Saint-Jacques a rencontré la presse, mercredi à Saint-Hubert, pour expliquer les expériences qu’il mènera dans la Station spatiale internationale.

Le Québécois David Saint-Jacques s’envolera pour la station spatiale internationale (SSI) en novembre 2018 pour une mission de six mois durant laquelle il procédera à diverses expériences scientifiques conçues par des chercheurs canadiens dans le but d’étudier les changements que subissent le système immunitaire, le système cardiovasculaire et la moelle osseuse durant un séjour prolongé dans l’espace. Les résultats de ces expériences permettront de mieux comprendre les conséquences du stress et d’un manque d’activité physique pour les humains sur Terre.

Pour réaliser ces expériences, David Saint-Jacques disposera d’un vêtement intelligent qui permettra de suivre ses signes vitaux en temps réel. « Il s’agit d’une camisole sans manches qui est ajusté au corps pour suivre tous les paramètres qui sont mesurés dans une unité de soins intensifs. Les multiples capteurs qui sont insérés dans le vêtement enregistrent un électrocardiogramme, le volume et le rythme expiratoires, les mouvements du corps, la température de la peau, la concentration en oxygène du sang et la pression sanguine. Les données qu’ils accumulent sont ensuite transmises vers la Terre », explique Jean-François Roy, cofondateur de Carré Technologies qui a conçu ce « biomoniteur ». Ce vêtement biotechnologique pourra aussi servir sur Terre à suivre à distance l’état de santé des personnes à mobilité réduite qui ne peuvent quitter leur domicile, ou des participants à des expéditions militaires ou sportives dans des endroits éloignés, comme des mines et des plateformes d’exploitation, ajoute M. Saint-Jacques.

Ce dernier mettra aussi à l’épreuve un « bioanalyseur », c’est-à-dire un laboratoire portatif qui permettra d’analyser en temps réel dans la station spatiale les échantillons sanguins prélevés chez les astronautes qui autrement devraient être envoyés sur Terre. « Cette technologie constituera une véritable révolution pour les petites communautés éloignées, car actuellement, nous devons congeler les échantillons de sang, les envoyer à Montréal et ensuite attendre qu’on nous fasse parvenir les résultats », souligne M. Saint-Jacques, qui était médecin à Puvirnituq, un village inuit de l’Arctique.

Des chercheurs canadiens ont également conçu une expérience dénommée « Immuno Profile » qui consistera à suivre l’état du système immunitaire en mesurant divers certains biomarqueurs présents dans le sang au cours des six mois de la mission, et ce, grâce au bioanalyseur. « L‘environnement spatial provoque le plus souvent un affaissement du système immunitaire, ainsi que parfois un certain rehaussement en raison du stress. L’espace est un environnement stressant à plusieurs égards pour l’organisme, car il est différent de celui dans lequel nous avons évolué pendant des millions d’années, ce qui déstabilise l’organisme et entraîne des changements du point de vue de plusieurs facteurs sanguins associés au système immunitaire qui font que les astronautes sont plus exposés aux maladies et voient parfois se réactiver des virus qui étaient latents dans leur organisme, comme celui du zona ou d’une autre infection virale passée », précise le Dr Saint-Jacques.

La vie des astronautes dans la station spatiale en apesanteur est plutôt sédentaire. « Pour cette raison, ils s’imposent deux heures d’exercices très intenses par jour pour compenser le fait que, pendant les 22 autres heures, leur corps ne fait aucun effort. Ces séances d’exercices permettent de maintenir la force musculaire, la solidité des tendons, la résistance des os, mais ce n’est pas comparable au fait de combattre la gravité pendant 24 heures », poursuit-il. Les chercheurs étudieront donc l’effet de la sédentarité et tenteront de préciser la quantité et le choix d’exercices que l’on doit faire pour prévenir les méfaits de la sédentarité dans l’espace et sur Terre.

Le médecin-chercheur en réadaptation Guy Trudel, directeur du Laboratoire ostéoarticulaire de recherche appliquée à l’Université d’Ottawa, a conçu l’expérience Marrow, qui vise à observer les changements que subit la moelle osseuse, qui produit les globules rouges, les globules blancs servant à l’immunité et les plaquettes pour la coagulation durant un séjour dans l’espace. Cette expérience s’appuie sur les observations effectuées chez des patients alités ou forcés à l’immobilité qui ont montré que leurs os présentaient un contenu en gras plus élevé que chez les personnes actives. « Les astronautes souffrent très souvent d’une anémie de l’espace dont la cause n’est pas claire. Nous nous demandons si l’accumulation de gras dans les os ne pourrait pas être une des causes ou du moins participer à son apparition. Le gras viendrait probablement prendre la place des cellules souches hématopoïétiques qui forment les cellules sanguines dans la moelle osseuse », explique le Dr Trudel, dont l’équipe a conçu un programme de recherche dans lequel on mesurera le contenu en gras des os des astronautes avant leur mission et à leur retour sur Terre, on analysera l’impact de cette accumulation de gras sur les globules rouges et les globules blancs par prélèvements sanguins réalisés avant le départ, pendant leur mission dans l’espace, ainsi qu’à leur retour sur Terre, et on recueillera des échantillons de l’air expiré à ces mêmes étapes, ce qui permettra de mesurer la dégradation des globules rouges.

Les résultats de cette expérience pourront servir aux personnes qui demeurent des mois alitées aux soins intensifs, ainsi qu’aux personnes âgées qui bougent peu, spécifie le chercheur.

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