Palimpseste. Sur les traces de l’enseignement de la philosophie.

Katerine Deslauriers Collaboration spéciale
«Lire des textes, c’est écouter, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit et de civisme: c’est contrer la discrimination et se préparer à vivre en société», estime Katerine Deslauriers.
Photo: Michaël Monnier Le Devoir «Lire des textes, c’est écouter, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit et de civisme: c’est contrer la discrimination et se préparer à vivre en société», estime Katerine Deslauriers.

Ce texte fait partie du cahier spécial 50 ans de philosophie au collégial

Quand je raconte ce qui me passionne à mes amis, ils me disent souhaiter assister à mes cours de philosophie. Quand je leur explique qu’en plus des contenus de base, je montre à mes étudiants l’origine des idées d’aujourd’hui, leur transformation, leur impact sur notre société actuelle. Que lire des textes, c’est écouter, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit et de civisme : c’est contrer la discrimination et se préparer à vivre en société. Que Descartes contribue encore à la science, que Rousseau ou Locke ont influencé les constitutions françaises et américaines lors des révolutions. Que la démocratie est d’une fragile justice sans opposition ou sans éducation à la parole publique. Que réfléchir, exprimer ses idées en tant qu’humain est tout un défi. Ce qui a fait dire à Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal » (Hannah Arendt, Le système totalitaire, Le Seuil, collection « Points/Essais », no 307, 2005).
 

Photo: Portraits Rembrandt Katerine Deslauriers

Je leur dirais surtout que je cherche encore et toujours le meilleur moyen d’aider mes étudiants à apprendre à être libres.

Tous les soirs, mes collègues et moi préparons nos cours et corrigeons les copies. De la relecture des textes fondateurs de la culture occidentale à l’actualité, nous cherchons la meilleure méthode, la plus efficace et la plus inspirante. Et tous les jours, quand on regarde les 40 paires d’yeux devant nous, on se dit que, cette fois-ci, on y est presque. Mais un souci demeure : que reste-t-il de nos enseignements ?

Pour célébrer les 50 ans de la création des cégeps et de l’enseignement public de la philosophie, j’ai demandé à Mireille Fournier (diplômée en droit de l’Université McGill et étudiante à la maîtrise en droit et société à l’Université de Victoria, grâce au CRSHC) et à Me Marie-Noël Rochon (M.A. en droit ; École du Barreau et maintenant maman et avocate chez LCM avocats inc.) de bien vouloir répondre à mes questions.

Quelles traces ont laissé vos cours de philosophie ? Qu’avez-vous appris ?

MNR J’ai appris les différents courants philosophiques, la méthode analytique, la structure d’un texte, les façons d’exprimer des idées. Ce que j’ai principalement retenu est l’importance du débat des idées. La manière, la rigueur et la force de la concision. Plus l’idée que l’on cherche à exprimer est claire pour nous, moins nous avons besoin de mots pour l’exprimer. Finalement, dans tout bon débat, il faut être assez ouvert d’esprit pour considérer les deux côtés de la médaille et faire des concessions lorsque requis.

MF Au baccalauréat international, j’ai fait deux cours de philosophie politique et deux cours d’épistémologie. Que ce soient les questions de connaissance ; les fondements du libéralisme (Locke, Hobbes et l’état de nature contre Rousseau) ou la lecture de De la liberté de John Stuart Mill ; c’était assez fascinant de voir que les arguments qu’on entend tous les jours venaient de là. Dans Grandeurs et misères de la modernité de Charles Taylor, on a appris ce qu’est la raison instrumentale et on a réfléchi à la pensée managériale.

Si votre cégep était à refaire… Quels conseils donneriez-vous aux futurs étudiants à propos des cours de philosophie en formation générale ?

MNR Je crois que les cours de philosophie sont ce que les étudiants en font. Si les étudiants sont ouverts d’esprit et participent au cours, ils en sortent gagnants. Un professeur ne peut pas réellement dialoguer seul, encore moins de manière intéressante. Je leur dirais de s’impliquer dans le cours. Oui, c’est aride au premier abord, mais on sous-estime trop l’importance d’être en mesure d’exprimer clairement ses idées et de débattre efficacement. C’est utile tous les jours dans le milieu du travail, avec nos collègues, avec les clients, dans les négociations, etc. Aujourd’hui, les citoyens ont plusieurs forums pour s’exprimer, notamment avec les médias sociaux et Internet de manière générale. La liberté d’expression est bien défendue et les gens hésitent moins à critiquer ou à exprimer leur façon de voir les choses. Cependant, nous sommes aussi dans une ère d’instantanéité, de tweets en 140 caractères ou moins, de course folle pour la conciliation travail-famille. Par conséquent, je n’ai pas l’impression que ceci favorise la réflexion. J’ai donc souvent l’impression que les gens s’expriment beaucoup, mais disent peu.

MF : Le principal préjugé que j’ai rencontré, c’était qu’en philosophie, il fallait beaucoup lire. Je pense que les gens ne se doutaient pas à quel point il faut lire à l’université et à quel point certains sujets sont vraiment ennuyeux ! Je pense qu’on était juste gâtés. De plus, je dirais que le cours de théorie de la connaissance (épistémologie) m’a permis de me questionner sur ma manière d’apprendre et sur l’enseignement. Avoir un regard critique sur la « connaissance » est extrêmement utile dans une société où les « experts » ont énormément de pouvoir.

Considérez-vous qu’il faille conserver les cours de philosophie au collégial ?

MNR : Absolument. J’estime que la société a tendance à favoriser rapidement la spécialisation au détriment de la culture générale. Ce mal atteint bien malgré lui le secteur de l’éducation. Très tôt, les étudiants doivent choisir un tracé universitaire, et on se retrouve rapidement pris dans une mouvance d’efficacité : on cherche à obtenir le savoir strictement nécessaire pour nos fins. Or, la culture générale est nécessaire pour évoluer efficacement dans le milieu du travail (et dans bien des sphères de notre vie). C’est le tissu sous-jacent à nos relations interpersonnelles. La philosophie permet non seulement d’approfondir notre culture générale, mais de structurer notre pensée. Si on veut être critique quant à notre cheminement, encore faut-il avoir les outils pour l’être, et c’est notamment ce qu’offrent les cours de philosophie.

MF : C’est fondamental. Je pense même qu’il faudrait l’enseigner au primaire et au secondaire. Tout le monde vit dans un environnement où on a besoin de prendre des décisions, et pour prendre des décisions, les arguments sont essentiels. Savoir construire des arguments et s’entraîner à les dire est essentiel pour tous, peu importe la destination professionnelle ou personnelle.

En terminant, que souhaiteriez-vous pour l’avenir de la philosophie et de l’éducation ?

MNR : J’espère une prise de conscience de l’importance de la culture générale. Que l’enseignement de la philosophie restera au sein de nos écoles (et devrait même débuter à la fin du secondaire) et qu’on réalisera son importance pour la création de citoyens impliqués. Du faible taux de participation aux élections à l’insipidité fréquente de nos débats de société, il faudrait miser davantage sur une forme d’éducation citoyenne. Le cégep est le bon endroit pour cela. Essayer de faire voir aux étudiants l’importance des concepts étudiés dans les cours de philosophie et leur utilisation courante dans la « vraie » vie. Ce n’est pas que du « pelletage de nuages » !

MF Je souhaite qu’on reconnaisse la valeur de la philosophie, qui pour moi a été une matière où on apprend à poser des questions, à imaginer des arguments et à exercer son jugement.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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