Enseigner la philosophie en 2017

Ce texte fait partie du cahier spécial 50 ans de philosophie au collégial
Quand, au détour d’une conversation, je dis que j’enseigne la philo au cégep, immanquablement mon interlocuteur me demande, avec une pointe de scepticisme : « Mais… est-ce que les jeunes sont intéressés ? »C’est sûr que l’ambiance peut être pesante quand je m’échine à expliquer ce qu’est le relativisme, particulièrement aux alentours de 17 h le vendredi. D’un coup, l’importance toute relative du cours par rapport au début de la fin de semaine se fait sentir. Mais quand je leur déclare que, puisque le relativisme est acceptable, je vais cesser de corriger leurs copies en utilisant des critères communs, un besoin urgent de trouver des arguments apparaît subitement. Finalement, ils ont peut-être raison, ces étudiants, c’est relatif.

On déplore souvent que les jeunes n’aiment pas toujours réfléchir, lire, qu’ils sont souvent hypnotisés par leur téléphone. Oui, parfois. Et en même temps, il y a ce jeune, c’est sa première session de cégep. Il passe tout le cours couché sur sa table et, dès que le mot « liberté » est prononcé, il se relève d’un bond sur sa chaise, le premier à lever la main.
C’est ce genre de situation qui m’a donné l’envie de partager, de raconter des « tranches de vie » du cours de philo, des petits moments de grâce qui semblent parfois avoir pénétré dans nos salles de classe. D’autres collègues ont prêté leur plume afin de créer en 2016 le site La philo au cégep (www.laphiloaucegep.com), « étonnements vécus dans une classe près de chez vous ». Qu’est-ce que je retiens de toutes ces anecdotes ? Que même une remarque cynique, banale ou contradictoire d’un étudiant ou d’une étudiante est souvent la porte ouverte vers une réelle discussion.
Encore cette session, alors que j’avais prévu dans mon plan de cours de travailler sur les arguments (afin qu’ils soient solides, fondés, rationnels, etc.), je leur laisse choisir leur question de réflexion. Ça donne : « Est-ce que le destin existe ? Et si oui, est-il prédéterminé ? » La discussion commence. La réponse arrive rapidement : le destin existe, point final. Mais ils sont incapables de fournir des arguments. Aucun. « Ça existe, c’est tout. » L’intime conviction parle. On sentait presque leurs coeurs palpiter quand ils ont abordé leurs exemples : elle devait le rencontrer, je devais rester en vie et ne pas me noyer, c’était écrit que j’irais étudier dans ce cégep. La cerise sur le gâteau est apparue quand j’ai dit : « Donc, on n’est pas libres alors. » Désaccord net de la part des jeunes :« Mais non, on est libres, on le construit, notre destin. » Mais alors, il n’y a plus de destin ! Dans mon esprit, ça coule de source : s’il existe un destin, si tout « est écrit », alors notre vie est prédéterminée et il n’y a pas de liberté ! La discussion se poursuit et les étudiants précisent leur pensée. Le destin se définit, selon eux, par les événements significatifs de notre vie, ceux qui nous marquent, autant de moments existentiels, de « croisées des chemins ». Et s’il n’y avait pas qu’une seule façon de définir le destin ? C’est ce que ces étudiants m’ont appris ce jour-là.Même une remarque cynique, banale ou contradictoire d’un étudiant ou d’une étudiante est souvent la porte ouverte vers une réelle discussion
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