Le cégep, ou le jardin d’Épicure

Noémie Verhoef Collaboration spéciale
Buste d’Épicure
Photo: Wikimédia Buste d’Épicure

Ce texte fait partie du cahier spécial 50 ans de philosophie au collégial

« Quand on est jeune il ne faut pas tarder à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. » (Épicure, Lettre à Ménécée)

Contrairement à ce que veut la croyance populaire, l’adolescence est un moment privilégié pour sauter à pieds joints dans les questions les plus fondamentales de la philosophie. Certes, une poignée d’élèves arrivent au premier cours armés des préjugés traditionnels à l’endroit des cours de philo — c’est plate, c’est inutile, c’est trop difficile, etc. — mais ils sont drôlement moins nombreux qu’avant et sont les plus faciles à convaincre du contraire. En fait, ce n’est vraiment pas si compliqué. À qui croit qu’un cours est plate, il faut demander ses intérêts ; à qui croit que c’est inutile, il faut parler de ce qui le préoccupe ; à qui croit que c’est trop difficile, il faut montrer qu’il est déjà philosophe.

Mais surtout, à qui croit, il faut démontrer l’importance de distinguer croyances et savoirs. À ce sujet, nous sommes toutes et tous humains, trop humains : devant le champ des possibles et l’étendue du réel, si nous sommes raisonnables, nous ne pouvons qu’être humbles.

Cette humilité intellectuelle, doublée de la souplesse et de l’ouverture de l’esprit, n’est peut-être pas la caractéristique que nous attribuerions d’emblée à un groupe de trente adulescents. On se les imagine souvent cassants, bêtes comme leurs pieds, irrespectueux des autres et surtout de l’autorité, mais il n’en est rien.

Les élèves n’ont peut-être pas soif d’apprendre par coeur les théories de l’âme de Platon et d’Aristote, mais ils sont insatiables lorsque vient le temps de défendre leurs principes et leurs idéaux au sujet d’une question éthique ou encore d’un événement d’actualité qui les touche. Il suffit que la classe soit un contexte d’expression constructif et sécuritaire pour que même les plus réservés se mouillent en posant une question ou en participant au débat. Ainsi, le rôle du prof n’est pas tant de professer quoi que ce soit, mais de créer ce safe-space pour ensuite utiliser ce que les élèves disent comme prétexte pour passer la matière. Et, surtout, pour mettre les préjugés et les croyances à mal.
 

Noémie Verhoef

S’il y a une expression latine que devraient connaître tous les élèves au collégial, c’est bien « Errare humanum est, perserverare diabolicum ». Parce que c’est en leur donnant le droit à l’erreur et le goût de s’en sortir qu’on finira par détruire le relativisme ambiant qui empoisonne l’espace public. C’est en se donnant un cadre rationnel commun qu’on finit par faire avancer les choses. Qu’on peut proposer des solutions au lieu de mettre l’accent sur les problèmes. Qu’on peut espérer une vision réellement rassembleuse et ouverte sur le monde. Qu’on arrêtera de se contenter du vivre-ensemble artificiel qui pose encore et toujours l’autre comme ce qui s’oppose d’abord et avant tout à soi et qui, à différents degrés, dérange.

En ce sens, enseigner aux élèves à remettre en question leurs préjugés et leurs croyances, à en remplacer quelques-uns par des principes rationnels et moraux dignes de ce nom et à se donner le droit de monter aux barricades lorsque ces derniers sont bafoués, c’est participer à légitimer leur parole. C’est leur donner les moyens de s’affirmer, non pas seulement en classe, mais pour de vrai. Plus tard, mais surtout maintenant.

À l’ère des réseaux sociaux, de la post-vérité et du cynisme politique généralisé, c’est un flagrant euphémisme de dire que nous avons un urgent besoin de citoyennes et de citoyens consciencieux et responsables. Heureusement pour nous, dans la classe comme en dehors, les jeunes répondent « présent » !

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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