Rémunération des stages: une grève étudiante au visage féminin

Pendant un atelier de Valérie Simard (à droite), étudiante et stagiaire en enseignement et militante au sein du Comité unitaire sur le travail étudiant de l’UQAM, au Café Mal-aimé de l’UdeM.
Photo: Catherine Legault Le Devoir Pendant un atelier de Valérie Simard (à droite), étudiante et stagiaire en enseignement et militante au sein du Comité unitaire sur le travail étudiant de l’UQAM, au Café Mal-aimé de l’UdeM.

Vendredi, Journée mondiale des stagiaires, ils étaient 15 000 étudiants à travers la province à être en grève pour demander une rémunération pour tous les stages. Mené par les étudiantes en enseignement, en travail social ou encore en soins infirmiers, ce nouveau soulèvement critique une répartition jugée inégale des ressources dans les différents domaines d’enseignement.

Arlette Thevenot est infirmière depuis deux ans. Mère de trois enfants de 13, 10 et 8 ans, elle vient tout juste de terminer ce printemps son DEC-Bac en soins infirmiers au terme duquel elle a dû réaliser un stage de 28 jours, étalés sur 6 semaines. Les tâches accomplies lors de son stage, non rémunéré, étaient sensiblement les mêmes que celles de ses quarts de travail comme infirmière. « Avec le travail et le stage, les travaux à faire pour les cours, ça cumulait facilement 60 heures de ma semaine, et ça c’est sans s’occuper de ma famille », se rappelle cette battante de 37 ans qui a choisi de poursuivre ses études en s’inscrivant à la maîtrise en sciences infirmières.

Pour ajouter à l’absurde de la situation, Mme Thevenot a effectué son stage à l’hôpital qui l’emploie déjà comme infirmière. Dans son discours, une question revient souvent : « Pourquoi mon stage n’est-il pas payé alors que les internats [résidences] des apprentis médecins le sont ? »

C’est une question de valorisation de certains domaines par rapport à d’autres, répondent les militantes de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages, pilotée en partie par les CUTE (Comités unitaires sur le travail étudiant). La revendication principale de ces groupes, au-delà des stages, est la rémunération de tous les étudiants. Et cette valorisation, avancent les militantes, est basée sur une hiérarchisation genrée des secteurs professionnels.

On voit aussi que les métiers à “haute valeur sociale”, comme en médecine, en droit, en génie, et je ne veux pas trop pointer du doigt ces gens car je sais qu’ils ont aussi leurs problèmes de dynamique interne, [...] sont plus valorisés et que les stages viennent avec de meilleures conditions

« Nous, la question qu’on pose, c’est pourquoi les stages dans les domaines comme génie ou médecine sont rémunérés, alors que ceux dans le domaine plus du “care” [en éducation, en communication, en travail social] ne le sont pas », résume Sandrine Belley, porte-parole de la Coalition pour le travail étudiant et membre du CUTE-UQAM. L’étudiante au baccalauréat en travail social avance une ébauche de réponse : les emplois traditionnellement féminins sont vus comme un don de soi, accompli par bonté de coeur ou par amour des autres. « Ça reste du travail ! » Il est à noter que les étudiants au doctorat en médecine doivent toutefois compléter un externat de deux ans sans rémunération. 

Inspirées par la grève des doctorants en psychologie, qui ont obtenu gain de cause l’an dernier au terme d’une longue bataille avec le gouvernement pour faire rémunérer un stage obligatoire de 1600 heures, les associations étudiantes avaient déjà tenu une journée de grève des cours et des stages en février, pour attirer l’attention des autorités sur la précarité des stagiaires. Cet automne, le mouvement se veut international, avec des échos aux États-Unis et au Mexique.

Analyse féministe

 

Pour Valérie Simard, étudiante en 4e année au baccalauréat en enseignement, avec spécialisation en adaptation scolaire, et militante au sein de la campagne, la revendication autour des stages se différencie des mobilisations étudiantes des dernières années. « Le mouvement est majoritairement féminin cette fois, dit Mme Simard, qui aura à faire un stage de 57 jours à partir de janvier dans un centre de réadaptation. C’est une analyse féministe sur l’exploitation que l’on propose. »

En éducation, les demandes pour dédommagement des stagiaires ne datent pas d’hier. La Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiantes et les étudiants d’éducation en stage (CRAIES) est active depuis trois ans pour demander une compensation financière pour le quatrième stage du baccalauréat en enseignement, qui correspond à une charge de cours complète pour environ trois mois.

Photo: Catherine Legault Le Devoir En éducation, les demandes pour dédommagement des stagiaires ne datent pas d’hier.

Selon son porte-parole, Antoine Côté, étudiant de deuxième année au baccalauréat en enseignement du français à l’Université de Montréal, le discours prôné par son regroupement pourrait bénéficier ces jours-ci d’un bon élan. « En octobre, nous avons lancé un plan d’actions concertées avec d’autres groupes », dit le jeune homme.

Il est clair pour lui que certains domaines, comme l’enseignement, pâtissent d’un désengagement de la part de l’État. « Il y a deux constats très faciles à établir : les stagiaires qui ont des meilleures conditions sont dans les secteurs traditionnellement masculins et en général dans la sphère privée. On voit aussi que les métiers à “haute valeur sociale”, comme en médecine, en droit, en génie, et je ne veux pas trop pointer du doigt ces gens car je sais qu’ils ont aussi leurs problèmes de dynamique interne, mais on le voit tout de suite que ces secteurs-là sont plus valorisés et que les stages viennent avec de meilleures conditions. »

C’est donc une revalorisation de certains secteurs, croit M. Côté, qu’il faut amorcer. « Nos stagiaires méritent mieux, nos profs méritent mieux ! »

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