La commission Viens à la rencontre des autochtones

Aujourd’hui, la participation des Premières Nations et des Inuits est une condition «sine qua non» du succès de cette commission, qui a un mandat de réconciliation.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Aujourd’hui, la participation des Premières Nations et des Inuits est une condition «sine qua non» du succès de cette commission, qui a un mandat de réconciliation.

La commission Viens, basée à Val-d’Or, s’apprête à donner son envol aux audiences publiques qu’elle tiendra sur la Côte-Nord, à Montréal et au Nunavik. Après près d’une année de mandat, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, qui a dépensé jusqu’ici 1,4 million selon des données rendues publiques sur son site, est en période de recrutement intensif pour cette deuxième phase qui commence.

Dès la semaine prochaine, certains de ses membres donneront d’ailleurs des séances d’information chez les Innus de la Côte-Nord afin de préparer les audiences qui s’y tiendront.

« La Commission est basée à Val-d’Or, mais c’est clair qu’elle sera appelée à se déplacer », a affirmé au Devoir le procureur en chef, Christian Leblanc, lors d’une entrevue-bilan. « On a l’objectif d’être le plus efficace possible, en fonction du délai et du mandat à respecter, tout en essayant d’être le plus près des gens possible. »

Toutefois, la Commission devra embaucher massivement si elle veut pouvoir effectuer ces séjours dans diverses communautés. Le gouvernement Couillard prévoit une enveloppe de 9 millions de dollars pour cette commission, mais il s’est dit ouvert à l’augmenter. Quant à savoir si une prolongation du mandat sera nécessaire, le procureur en chef dit qu’il est encore trop tôt et qu’il fera le point en avril.

Comptant désormais 49 employés, la Commission est en grande campagne de recrutement pour engager notamment des enquêteurs, des agents de liaison avec le milieu et des recherchistes en droit en vue des déplacements sur le vaste territoire québécois. Elle est également à la recherche de personnel administratif avec une formation juridique, ce qui lui est très difficile de trouver actuellement à Val-d’Or, en raison d’une grande pénurie de main-d’oeuvre.

Même si siéger dans les 55 communautés ne sera pas possible pour des « raisons pratiques » évidentes, il y aura des déplacements au Nunavik, a indiqué Me Leblanc. « On est en train de planifier nos déplacements au Nunavik, a-t-il indiqué. On va voir en fonction des besoins, des disponibilités de locaux, de bandes passantes. Il y a tout un aspect logistique. »

Convaincre les autochtones

 

Jusqu’ici, le procureur en chef de même que son adjointe et des membres de l’équipe ont effectué 41 visites surtout en Abitibi-Témiscamingue, à Montréal, à Québec et au Saguenay, l’est du Québec et le Nord demeurant encore à explorer. L’idée est d’informer et de convaincre les autochtones de participer et de témoigner. « Il faut aller vers les gens, leur expliquer pourquoi on est là, d’où on vient et pourquoi on a accepté de mettre nos carrières sur la glace pour venir travailler à ce mandat-là, souligne-t-il. Il faut qu’on développe nos liens de confiance, et ça ne se fait pas à distance. »

Déjà, il leur faut démêler la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics de celle au niveau fédéral sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Et ensuite expliquer que « certains services publics », cela comprend notamment la police, la santé et les services correctionnels, mais pas l’éducation. « Dans le cadre de notre présentation, on n’invite pas les gens à témoigner de leur vécu, mais parfois ils le font. C’est un geste de confiance », croit Me Leblanc.

Ultime chance ?

Il y a un an, en novembre 2016, la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne porter aucune accusation contre des policiers de Val-d’Or soupçonnés d’agressions sexuelles à l’endroit de femmes autochtones avait déclenché une crise majeure.

Aujourd’hui, la participation des Premières Nations et des Inuits est une condition sine qua non du succès de cette commission, qui a un mandat de réconciliation. Étant donné que plusieurs commissions d’enquête ayant pour sujet les autochtones se sont déjà tenues au cours des 50 dernières années, la commission Viens est un retour à la case départ, ont déjà clamé certains observateurs critiques.

La pression est grande pour que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau. Cette fois, ça passe ou ça casse ? « Je ne sais pas si on peut le dire comme ça, mais ce que je peux vous dire, c’est que, à date, les citoyens et les autorités autochtones à qui on a parlé embarquent dans le projet », a répondu Me Leblanc. Il se dit tout à fait conscient de l’importance du mandat et des attentes qu’il soulève. « La pression, oui [on la sent] », dit-il. Mais il parle d’un « alignement des planètes » qui fait que le contexte est propice pour tenir un tel exercice à la fois au fédéral et au provincial.

Le procureur assure qu’il n’y a pas d’opposition, mais plutôt des questions. Les gens qu’il va rencontrer veulent savoir, par exemple, s’il y aura des risques d’accusation si leur témoignage fait état d’infractions au criminel. « On fait les distinctions. On est une enquête publique, on ne refera pas le procès de ce qui a déjà été fait. On ne peut pas se prononcer sur la responsabilité criminelle ou pénale, ni adresser des blâmes. »

Pas comme les autres

 

Me Leblanc insiste : la commission Viens — aussi appelée « Écoute, réconciliation et progrès » — n’est pas la commission Charbonneau, Bastarache ou Chamberland… « C’est une des rares commissions d’enquête au Québec qui s’adressent à des citoyens, à monsieur et madame Tout-le-monde, estime-t-il. Elle va être différente de celles qui ont existé. C’est un mandat de réconciliation, dans une certaine mesure […] C’est pas un procès où on a des parties qui ont des intérêts opposés. »

Dans la forme, la Commission s’adapte. Le protocole est quelque peu élagué dans les audiences publiques et diffusées en direct. Affable et à l’écoute, le président de la Commission, Jacques Viens, n’est pas assis sur une scène en hauteur, mais au même niveau que les témoins qui, eux, n’ont pas à « jurer », mais simplement à « affirmer » dire la vérité.

D’ici Noël, trois semaines d’audience auront lieu. Le rapport est attendu dans un an, mais déjà quelques recommandations ont été formulées par le commissaire et ont donné lieu à des changements de pratique. Depuis un mois, à Val-d’Or, il y a un moratoire, non définitif contrairement à Montréal, sur l’emprisonnement pour le non-paiement d’amendes, ce qui évite de sur-judiciariser beaucoup d’autochtones en situation d’itinérance. « Il pourrait y avoir d’autres recommandations. »

Commission Viens

Nombre d’employés : 49, dont 9 autochtones

Dépenses en date du 31 août : 1,4 million

Remise du rapport : 30 novembre 2018

Autochtones

11 nations provenant de 55 communautés

100 000 personnes dont la moitié vivent en milieu urbain

Femmes autochtones du Québec manque de fonds

Femmes autochtones du Québec (FAQ) demande un soutien financier au gouvernement, sans quoi elle ne pourra plus participer à la commission Viens. L’association dit avoir maintes fois déposé des demandes de subventions auprès du Secrétariat aux affaires autochtones pour assurer la présence de ses avocats aux audiences à Val-d’Or, mais elle n’aurait obtenu qu’un appui financier insuffisant. « Nous voulons participer aux audiences sans aucune contrainte », a affirmé la présidente de FAQ, Viviane Michel, par voie de communiqué. Le président de la Commission, Jacques Viens, a semblé désolé de la tournure des événements, mais sans pouvoir prendre position. « Ça ne relève pas de la Commission », a indiqué le procureur en chef et porte-parole Christian Leblanc, qui rappelle son caractère indépendant. FAQ est le tout premier groupe à avoir demandé un statut officiel, qu’ont également obtenu l’Assemblée des Premières Nations et le Service de police de la Ville de Montréal, notamment.


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