Le Canada fait bien, mais pourrait faire mieux pour les réfugiés

Le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés Filippo Grandi était émerveillé lors de son passage aux bureaux du Centre de réfugiés à Montréal, vendredi matin. « C’est un témoignage de ce que l’humanité peut faire de positif », s’est-il enthousiasmé quelques heures plus tard en entrevue avec Le Devoir, au sujet de ce qu’il y a vu.
L’équipe du Centre, affilié à l’Université Concordia, a profité de la visite du grand patron du HCR pour lui faire la démonstration d’applications mobiles développées avec et pour des réfugiés, et qui pourraient grandement faciliter les processus d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile.
Parmi elles, il y a Luna AI, conçue par le directeur du Centre Abdulla Daoud et un groupe d’étudiants en génie logiciel. Luna AI permettra dès mai 2018 — si tout se passe bien — de remplir un formulaire de demande d’asile pour le Canada à partir de n’importe où dans le monde, et ce, simplement en répondant à des questions posées dans une interface rappelant une conversation par textos.
Compass, développée par deux jeunes acolytes d’origine érythréenne, dont un est arrivé au pays comme réfugié il y a près de trois ans, rassemble quant à elle dans la même application les ressources pratiques aux nouveaux arrivants, qui sont ainsi guidés dans leurs démarches, par exemple, pour trouver un logement ou prendre un rendez-vous médical.
Ces deux applications sont actuellement en phase de test, mais déjà, elles impressionnent Filippo Grandi. « De jeunes réfugiés qui font un travail innovateur pour d’autres réfugiés, pour moi, c’est le paradis. C’est fantastique, c’est l’idéal, quoi », s’emballe-t-il.
Il faut dire que M. Grandi, qui oeuvre depuis une trentaine d’années auprès des réfugiés des quatre coins du monde, fait face quotidiennement, dans le cadre de son travail, à des situations « dramatiques, sans espoir, sans issue », explique-t-il. Ce qui fait en sorte que des initiatives comme celles-là sont pour lui « une révélation ». « Cet enthousiasme, cette énergie, c’était très bien ! Ça me fait du bien ! »
Ces innovations sont une illustration de l’ouverture de la société canadienne, aux yeux de Filippo Grandi. Mais le Canada pourrait faire encore mieux, soutient le haut-commissaire pour les réfugiés. C’est d’ailleurs le message qu’il compte transmettre au gouvernement fédéral, ce lundi, lors de son passage à Ottawa : « N’ayez pas peur. Assumez pleinement ce rôle de leader dans le domaine des réfugiés, parce que vous le faites bien », clame-t-il.
M. Grandi ne s’en cache pas : il aurait aimé que le Canada soit plus ambitieux dans sa nouvelle cible en matière d’accueil des réfugiés. Ottawa compte augmenter progressivement le nombre de réfugiés d’ici 2020 pour le porter d’un peu plus de 40 000 à 48 700. Ces 8700 nouveaux arrivants seront tous parrainés par des citoyens. « Dans un monde où le climat autour de la question des réfugiés est pessimiste et négatif, ça aurait été bien de donner un signal un peu plus progressiste », explique-t-il.
Il reste que le dirigeant du HCR n’hésite pas à vanter le modèle canadien lorsqu’il s’adresse à d’autres nations. « Votre société civile vous suit, j’ai eu cette impression à Montréal. Je suis sûr qu’il y a des gens qui s’opposent [à l’arrivée de réfugiés], mais en comparaison avec d’autres pays, ici, le climat reste positif. »
Électrochoc au Conseil de sécurité
La veille de son arrivée dans la métropole québécoise, M. Grandi a prononcé un discours alarmant devant le Conseil de sécurité de l’ONU, à New York. Dans cette allocution, il a reproché aux pays les plus riches leur échec à trouver des solutions à une myriade de conflits internationaux. Il a notamment évoqué la « faiblesse de la coopération internationale » et « le déclin de la capacité à prévenir, contenir et résoudre les conflits ».
En d’autres termes : « Réveillez-vous ! », a-t-il voulu leur dire. « Ils étaient réveillés [pendant mon discours], mais bon…, avance-t-il avec un petit rire. Ils ont certainement écouté, il faudra voir s’ils ont entendu. » M. Grandi est arrivé à la tête du HCR en janvier 2016 à un moment critique, alors que le nombre de personnes forcées de fuir la guerre et la persécution dans le monde a atteint un niveau record, après avoir dépassé en 2015 celui de la Seconde Guerre mondiale. Actuellement, 66 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde.
Questionné à savoir quel est le plus grand défi qu’il doit affronter dans ce contexte, Filippo Grandi s’arrête à deux réponses. La première est le manque d’unité politique au sein du conseil de sécurité de l’ONU. « C'est le grand problème qu’on a eu pendant la crise syrienne », soutient-il. Sans unité, pas de sortie de crise possible, soutient-il.
Montée de la xénophobie
La deuxième est la montée de la xénophobie à travers le monde. « Ça me préoccupe, parce que c’est très exploité politiquement par des gens qui n’ont aucun scrupule. Ça rapporte électoralement. À mon avis, c’est vraiment irresponsable, la façon dont certains politiciens ont utilisé ça. Ça rapporte parce que les gens ont des appréhensions, des peurs : pour leur travail, leur sécurité, leurs valeurs… »
Dans la foulée, le haut-commissaire s’en prend aux fausses nouvelles qui circulent massivement au sujet des réfugiés. « Beaucoup de faussetés ont été dites : Que les réfugiés apportent l’insécurité ; ce n’est pas vrai ! Que les réfugiés enlèvent des jobs aux citoyens ; ce n’est pas vrai ! Que les réfugiés ne respectent pas nos valeurs ; ce n’est pas vrai ! » peste-t-il.
Comment renverser la vapeur ? Par une meilleure information et par de l’action politique, répond Filippo Grandi. « Ce n’est pas toujours populaire d’accueillir les réfugiés, mais ce qui est juste n’est pas toujours populaire. Parfois — les gouvernements le savent —, il faut prendre des décisions. Au lieu d’effrayer l’opinion publique, pourquoi ne pas la convaincre ? »