

Le bâtonnier du Québec le disait lui-même la semaine dernière: le système de justice «offre peu de souplesse aux...
Le bâtonnier du Québec le disait lui-même la semaine dernière : le système de justice « offre peu de souplesse aux victimes » d’agressions sexuelles. Quoi changer pour corriger cela ? Pistes de solutions.
Vous marchez dans la rue, quelqu’un surgit de l’ombre et vous frappe au visage. Bang!
« Au procès, on ne commencera pas à vous demander si vous vouliez vous faire taper dessus, si vous avez peut-être donné l’impression que oui, etc., relève Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Le procureur devra simplement démontrer que l’agresseur vous a tapé dessus. C’est simple. Or, on demande aux victimes d’agressions sexuelles de prouver qu’elles ne voulaient pas de contact sexuel. »
Celle qui est membre de l’Institut de recherches et d’études féministes rappelle que « l’agression sexuelle est le seul crime contre la personne qui fait appel à la notion de consentement dans la démonstration de l’existence du crime. Il faut démontrer hors de tout doute raisonnable qu’il n’y avait pas de consentement. Et ça, ça revient à positionner la victime comme une menteuse potentielle dès le début du processus. »
C’est là un des éléments que Mme Chagnon met en avant lorsqu’interrogée sur les faiblesses du système actuel — celui que le bâtonnier du Québec estime trop rigide. Celui qui fait aussi que l’immense majorité des agressions demeurent non déclarées.
Dans une étude dévoilée mercredi et portant sur les « décisions rendues par les tribunaux dans les affaires d’agression sexuelle déclarées par la police » entre 2009 et 2014, Statistique Canada rappelait une donnée révélatrice : sur vingt agressions, une seule sera portée à l’attention de la police. Une.
Les chiffres de l’agence fédérale montrent que les affaires déclarées et corroborées par la police (ce qui exclut les plaintes jugées non fondées) cheminent dans un entonnoir. Moins de la moitié de ces cas (43 %) a mené au dépôt d’accusations au criminel ; une affaire sur cinq (21 %) a été portée devant les tribunaux ; et une sur dix (12 %) a donné lieu à une déclaration de culpabilité.
Pourquoi si peu de recours aux tribunaux, et si peu de condamnations ? « Le fait d’avoir à démontrer que la victime ne ment pas [pour établir hors de tout doute qu’il n’y avait pas de consentement] avant même que la défense soit présentée, et le fait aussi que c’est un crime d’intimité souvent sans témoin, c’est ce qui rend l’agression sexuelle si difficile à démontrer », pense Rachel Chagnon.
Elle rappelle qu’en mars 2017, un chauffeur de taxi d’Halifax a été acquitté d’une accusation d’agression sexuelle contre une femme qui était en état d’ébriété dans sa voiture — et qui était inconsciente lorsqu’une policière est intervenue pour placer le chauffeur en état d’arrestation. « La Couronne n’a pas pu prouver que la cliente n’était pas consentante pendant que [le chauffeur] la touchait », avait indiqué le juge Gregory Lenehan, tout en reconnaissant que les faits étaient « troublants ».
La ministre fédérale de la Justice a déposé en juin un projet de loi (C-51) pour établir clairement qu’une personne inconsciente ne peut donner son consentement à une relation sexuelle. N’empêche : le cas est révélateur, dit Mme Chagnon. « On l’a vu aussi cette semaine avec ce juge qui a eu des propos déplacés sur une victime [la ministre québécoise de la Justice a porté plainte au Conseil de la magistrature]. Il y a certainement un enjeu d’information et de sensibilisation des milieux judiciaires, qui permettrait d’améliorer un peu les choses. »
« Il y a encore beaucoup de stéréotypes qui travaillent [contre les victimes] en arrière-plan, remarque aussi Louise Langevin, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval. La Cour suprême a dit que vous ne pouvez fouiller dans le passé de la victime, faire son historique sexuel. Mais il y a encore cette idée que les femmes mentent, qu’elles sont habillées de manière aguicheuse, qu’elles ont couru après, que si elles n’avaient pas voulu elles n’auraient pas pris un verre chez l’agresseur… On sait bien que prendre un verre, ça veut dire plus que prendre un verre, non ? »
Débat sur le consentement, dureté du contre-interrogatoire (« on a parfois l’impression que l’objectif des avocats est de démolir la victime », pense Louise Langevin, qui y voit un « problème de déontologie »), peur d’être blâmées, jugées ou humiliées : la voie des tribunaux est peu fréquentée pour de multiples raisons, disent les deux expertes.
Mais que pourrait-on changer pour assouplir le système ? Rachel Chagnon propose une idée : que le procureur n’ait plus à démontrer qu’il n’y a pas eu de consentement. Ce serait donc à la défense seule de prouver qu’il y avait consentement. « Mais c’est radical, je sais. »
Lors d’un colloque organisé en mars 2017 par le ministère de la Justice à Ottawa, la doyenne associée à l’École de droit Peter Allard de l’Université de Colombie-Britannique, Janine Benedet, allait dans le même sens en disant que la « présomption d’innocence n’équivaut pas et ne devrait pas équivaloir à une présomption de consentement ».
« Mais c’est difficile de penser en dehors de la boîte actuelle, conçoit Louise Langevin. Le droit à une défense pleine et entière, le fardeau de la preuve, la présomption d’innocence, tout ça fait partie de notre système de droit criminel. On ne peut pas vraiment toucher à ça. Mais il y a du travail à faire autour. »
Par exemple ? Dans le traitement des plaintes. Les deux spécialistes font valoir que suivre l’exemple de la Ville de Philadelphie serait un pas important dans la bonne direction. Et il y a aussi la justice réparatrice comme solution de rechange à la justice pénale, avance Jo-Anne Wemmers, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal.
« Ce n’est pas l’idéal, mais c’est une façon de répondre à certains besoins des victimes, dit-elle. Il y a une reconnaissance [du crime] qui n’est pas toujours possible par la justice pénale, et c’est quelque chose de fondamental. »
Les changements récents aux lois canadiennes
Au Canada, seul l’Ontario dispose d’une loi spécifique sur le harcèlement sexuel au travail. Adoptée en mars 2016, cette loi oblige désormais tous les employeurs à adopter une politique sur le harcèlement au travail pour permettre le dépôt d’une plainte à une autre personne que l’employeur ou le superviseur, s’il s’agit des agresseurs. Des processus de plainte et d’enquête doivent être prévus, ainsi que des « mesures correctrices appropriées aux circonstances » en cas de harcèlement avéré. Les deux parties doivent aussi être informées des conclusions de l’enquête.
Selon les juristes, cette nouvelle loi instaure des obligations de moyens, mais pas de résultats pour les employeurs. Au Québec, le harcèlement sexuel au travail est toujours régi par la Loi sur les normes du travail, applicable à toutes les formes de harcèlement. L’Alberta a modifié en 2017 ses lois pour éliminer tout délai de prescription pour les survivantes d’agression sexuelle désirant poursuivre leur agresseur en cour civile. En 2015, le Québec a pour sa part établi la prescription à 30 ans.
Depuis mai, tous les campus de Colombie-Britannique doivent se doter d’une politique contre l’inconduite sexuelle, comme entend bientôt le faire Québec. Ottawa, de son côté, projette de modifier le Code criminel pour statuer qu’une personne inconsciente ne peut consentir à un acte sexuel et élargir aux textos et autres communications virtuelles l’interdiction de faire état en cour en preuve du passé sexuel des victimes.
Isabelle Paré
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