Hillary Clinton livre à Montréal les leçons de sa douloureuse défaite

«Tout le monde peut être envoyé au plancher [knocked-down], ce qui importe c’est de se relever», dit Hillary Clinton.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Tout le monde peut être envoyé au plancher [knocked-down], ce qui importe c’est de se relever», dit Hillary Clinton.

On était tous un peu curieux de le savoir : Hillary Clinton avait-elle fait son deuil ? La colère et l’amertume de celle qui a vu la présidence des États-Unis lui filer entre les doigts s’étaient-elles estompées ? À peine un an après, avait-elle décanté sa défaite crève-coeur ? Lundi soir au Palais des congrès de Montréal, l’ex-candidate à la présidence des États-Unis semblait effectivement un peu ailleurs. Peut-être pas entièrement sereine, mais certainement plus en paix. Et avec un aplomb certain, le même qui l’a portée tout au long de sa campagne jusqu’à ce face-à-face fatal avec Trump.

Écrire un livre, qu’elle décrit comme une expérience « cathartique », signer des milliers de dédicaces et parler au grand public de ce qui lui est arrivé a certainement quelque chose de libérateur, qui permet d’apprivoiser les événements qui ont bouleversé sa vie. « Beaucoup d’entre vous se grattent la tête en se demandant comment c’est possible d’avoir eu trois millions de votes de plus et perdre les élections. Moi aussi, je me le demande », a-t-elle dit, cherchant une certaine complicité avec l’auditoire. Mais rapidement elle n’a pas hésité à dire qu’elle était « reconnaissante », malgré cette expérience « douloureuse ».

Après une première partie assurée par l’imitateur André-Philippe Gagnon, Hillary Clinton s’est avancée doucement sur la scène, claudiquant légèrement. C’est qu’elle se remet d’une fracture du pied survenue la semaine dernière après un bête accident. Son médecin lui a conseillé le repos, de surélever son pied et de mettre des compresses de glace. « Je lui ai dit oui. Mais à Montréal », a-t-elle déclaré dans un grand sourire, sous les rires de la foule. On n’arrête pas facilement Hillary Clinton.


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On devine d’ailleurs rapidement que c’est cette volonté d’éviter l’apitoiement et d’être toujours en action qui a sauvé la candidate de la dépression. « Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je me sens mieux quand je canalise ma frustration en action », a-t-elle souligné. Elle insistera là-dessus à plusieurs reprises au cours de sa courte conférence d’une heure à laquelle plus de 3000 personnes ont assisté, payant quelques centaines voire plus de 1000 $ dans certains cas pour avoir la chance de la rencontrer.

Sa tribune lui permet ainsi de revenir sur les événements et son expérience qu’elle décrivait déjà de manière très personnelle dans son livre publié à peine neuf mois après les présidentielles du 8 novembre. Comme un grand cri de stupeur, What happened, ce récit intime nouvellement offert en français sur les tablettes des librairies sous le titre Ça s’est passé comme ça, révélait une Hillary Clinton encore en train de se débattre, de nager dans une mer d’incompréhension. Mais il était important pour elle d’écrire ce qui s’est passé, de faire entrer dans la postérité SA version d'événements qu’elle a vécus de l’intérieur, comme pour l'ancrer dans la vérité et en même temps l'élever pour la rendre inattaquable par le rouleau compresseur des fausses nouvelles qui fait — et promet de faire encore – d’immenses ravages.

Des leçons

 

Avant de commencer son entretien avec Caroline Codsi, présidente de la Gouvernance au féminin, organisme qui promeut le leadership des femmes, Hillary Clinton a tenu à partager quelques leçons avec l’assistance. La première : « Tout le monde peut être envoyé au plancher [knocked down], ce qui importe c’est de se relever ». Elle a reconnu non sans humour qu’elle a eu ses moments d’effondrement et de vacillement, où elle n’avait qu’une envie : s’enfouir sous les couvertures et y rester. Mais les balades avec son mari et ses chiens, les longues heures à regarder une chaîne télé de jardinage et d’aménagement intérieur et quelques bouteilles de chardonnay l’ont aidée à se remettre debout, a-t-elle raconté, sur une note plus légère.

Résolument féministe, sa deuxième leçon a provoqué des applaudissements nourris : « La seule façon dont nous allons nous débarrasser du sexisme en politique, c’est en ayant plus de femmes en politique. » Celle qui a été très dure envers elle-même — « J’avais l’impression d’avoir déçu tout le monde. Et c’était le cas », écrit-elle dans son livre — s’est dite prête à encourager et à soutenir toutes celles que son engagement aura inspirées. Toutefois, elle a partagé un constat doux-amer sur le « deux poids, deux mesures » à l’endroit des femmes : « plus elles ont du succès professionnellement, moins elles sont aimées », contrairement aux hommes, a-t-elle fait remarquer.

Sa troisième leçon : « Les faits alternatifs n’existent pas. » Elle ne s’est pas gênée pour marteler de quelle façon la campagne de désinformation de la Russie, en 2016, a servi les puissants et les plus riches et créé de la confusion dans l’esprit des Américains. « C’est insidieux et subversif pour la démocratie », a-t-elle lancé, évoquant même une nouvelle «guerre froide». Dans sa quatrième leçon, elle a continué sur cette lancée en rappelant à quel point les déclarations du directeur du FBI sur ses courriels, soi-disant confidentiels, envoyés depuis sa messagerie personnelle lui avaient fait mal et en soulignant la force et le pouvoir des médias sociaux qui peuvent détruire une réputation en moins de deux.

Trump l’odieux

Au cours de l’entretien mené par Mme Codsi, qui aura permis à l’ex-candidate de détailler les événements et les impressions racontés dans son livre, il n’y a pas eu de grands moments d’émotion — la trop grande salle et la froideur du décor n’auraient pas incité quiconque à s’épancher — même si on sentait la principale intéressée émue à certains moments. Les questions colorées de l’animatrice, qui ne s’est pas gênée pour traiter Donald Trump de « raciste », « sexiste » et « mégalomane », auront néanmoins permis à Hillary Clinton de revenir, comme elle le raconte dans son livre, sur les agissements odieux du président avec les femmes, notamment lors du second débat à la présidence. Encore une fois, Hillary Clinton avait fait le pari de garder son calme. Si elle l’avait perdu, « on m’aurait dit que je n’avais pas le sang-froid pour diriger une nation ». Buvant ses paroles jusqu’à la fin, la foule, elle, n’avait aucun doute sur sa capacité à devenir la première femme présidente des États-Unis.

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