Une agence de placement accusée d’avoir embauché des travailleurs sans permis

Les travailleurs embauchés à travers l’entreprise Multiservices Québec se destinaient à l’emballage et au désossage de viandes.
Photo: iStock Les travailleurs embauchés à travers l’entreprise Multiservices Québec se destinaient à l’emballage et au désossage de viandes.

Une agence de placement de Laval est accusée d’avoir embauché des étrangers qui n’avaient pas le droit de travailler. Ses deux dirigeants, le couple Edinson Manuel Infantes Salas et Erika Anilu Gallegos Guillen, font face à 32 chefs d’accusation en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) leur reproche aussi d’avoir utilisé des documents d’identité de plusieurs personnes « dans le but de tromper des employeurs légitimes ».

Les travailleurs embauchés à travers l’entreprise Multiservices Québec se destinaient à l’emballage et au désossage de viandes. La liste de clients avancée par l’agence elle-même comprend surtout des usines de transformation de volailles. Le site Internet de l’agence de placement donne également l’adresse d’un bureau à Lima, au Pérou.

Plusieurs de ces employés d’origine latino-américaine avaient perdu le droit de travailler au Canada après l’expiration de leur permis de travail. En septembre 2016, l’un des clients de cette agence de placement, Volailles Régal, a vu une cinquantaine d’agents débarquer dans ses locaux. L’ASFC ne peut pas confirmer le nombre de personnes arrêtées lors de cette opération, mais des articles publiés cette même journée font état d’au moins trois arrestations.

« On essaie d’aider les gens qui cherchent du travail, mais ils ne nous amènent pas les vrais papiers », a commenté M. Infantes Salas à propos des accusations qui pèsent sur lui et sa copropriétaire. Il rejette la responsabilité sur les demandeurs d’ouvrage, en précisant que son agence demande beaucoup plus de garanties qu’avant pour vérifier que les papiers des travailleurs sont en règle.

Le dépôt de ces accusations la semaine dernière est le résultat d’une enquête de l’ASFC lancée en juin 2016. Les deux accusés comparaîtront le 11 décembre prochain. Le couple, lui aussi d’origine latino-américaine, s’expose à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans et à une amende de 50 000 $.

Menacés d’expulsion

« Ils arrêtent souvent les travailleurs, mais pour les dirigeants il ne se passe rien », reproche Viviana Medina, organisatrice communautaire pour le Centre des travailleurs immigrants (CTI). Elle dit avoir remarqué une recrudescence des opérations de l’ASFC visant l’arrestation de travailleurs sans permis. « Qui profite de leur travail ? », demande-t-elle.

Cette histoire faisait surface la semaine dernière alors qu’un groupe de 13 Guatémaltèques floués par une agence de placement devait être entendus en Cour fédérale à Montréal. Ils ont évité l’expulsion, puisque leur cause a été reportée à juin 2018, ce qui signifie que leur permis de travail sera renouvelé, a indiqué leur avocate Susan Ramirez.

Une mesure de renvoi pesait sur eux, après qu’ils se furent placés dans une situation illégale en quittant leur employeur avicole, auquel était rattaché leur permis de travail, pour l’agence Les Progrès à Victoriaville. Le propriétaire de cette entreprise, Esvin Cordon, avait promis aux Guatémaltèques de régulariser leur situation, moyennant jusqu’à 4500 $, retenu directement sur leur paie. Or, aucun papier n’avait été déposé en leur nom. Ils espèrent pouvoir rester au pays afin d’obtenir justice.

L’ASFC a arrêté deux autres hommes qui travaillaient pour M. Cordon à la fin du mois de septembre. Aucune accusation n’a encore été portée contre lui, et son agence est toujours en activité.

L’Agence enquête sur plus d’une centaine de travailleurs qui ont déserté les compagnies inscrites sur leur permis de travail.

« Il faut arrêter la criminalisation des travailleurs immigrants », a déclaré devant la Cour fédérale Neil Ladede, de l’Association des travailleurs et travailleuses étrangers temporaires (ATTET). L’ATTET et le CTI revendiquent de meilleures conditions de travail et un filet social « peu importe le statut migratoire », indique Mme Medina. Son organisation propose de donner un numéro d’assurance sociale aux personnes sans papiers, ainsi que la possibilité sans restriction de déposer des plaintes à la Commission des normes du travail, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.

Le gouvernement québécois a déjà fait part de son intention de resserrer l’encadrement des agences de placement avant la fin de l’année, probablement dans la foulée de sa réforme des normes du travail.

Pour la professeure Dalia Gesualdi-Fecteau, les relations tripartites, qui impliquent un intermédiaire comme une agence de placement, constituent « l’angle mort du droit du travail ».

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