Ottawa manque d’argent pour sécuriser les lieux de culte

Les demandes d'aide ont explosé après l'attentat à la mosquée de Québec.
Photo: Francis Vachon Le Devoir Les demandes d'aide ont explosé après l'attentat à la mosquée de Québec.

Croulant sous les demandes depuis l’attentat à la grande mosquée de Québec, le programme fédéral pour sécuriser les organismes et lieux de culte du pays a défoncé son budget annuel. Le Devoir a appris qu’au cours des derniers mois, Ottawa n’a pas pu répondre à près d’une centaine de demandes d’aide financière pour installer des systèmes de sécurité (serrures, caméras, etc.), faute d’argent.

Déjà, pour 2017-2018, le premier appel de projets, du 1er décembre 2016 au 31 janvier 2017 — prolongé jusqu’au 31 mars à la suite de la fusillade du Centre culturel islamique de Québec —, avait donné le ton : 246 demandes de financement ont été reçues au Programme de financement des projets d’infrastructure de sécurité (PFPIS) pour les collectivités à risque, dont 75 % ont été déposées après les événements tragiques. « Il y a eu un effet mosquée de Québec », a souligné Antoine Bourdages, directeur des Programmes de la sécurité communautaire à Sécurité publique Canada.

Si les demandes de subventions pour sécuriser des mosquées ont été les plus nombreuses (51 % des demandes), d’autres centres communautaires, écoles ou lieux de cultes — des synagogues, par exemple — ont également voulu se prévaloir de cette aide financière. « La vague s’est fait ressentir partout à travers le Canada, qu’on soit à Québec, Montréal, Toronto, Vancouver ou Terre-Neuve-et-Labrador », a-t-il ajouté.

À Sherbrooke, l’Association culturelle islamique de l’Estrie (ACIE) a aussi déposé une demande d’aide financière peu après les attentats à la grande mosquée de Québec. Son président d’alors, Mohamed Golli, n’avait jamais entendu parler du PFPIS auparavant, mais sa mosquée ayant déjà subi du vandalisme, il n’a pas voulu lésiner sur la sécurité. « On a demandé une subvention pour des caméras de sécurité et des portes avec un code d’accès. On a changé les serrures aussi. Et on va avoir une clôture qui va adhérer au paysage urbain », a-t-il expliqué.

Plus de 2 millions octroyés

Sur les 246 dossiers de la première cohorte, « une quinzaine » ne se qualifiait pas et 70 ont été retenus, car ils ont eu le meilleur score selon un instrument d’évaluation standardisé. Les quelque 150 autres ont essuyé un refus — il n’y avait plus d’argent pour eux — et ont été invités à postuler au second appel d’offres, du 1er juin au 31 juillet derniers. Et des 70 projets choisis, seuls 62 projets ont été financés jusqu’ici, pour un total de 2,25 millions, les 8 autres dossiers étant toujours en cours de traitement. « Effectivement, quand on va avoir signé les 70 ententes, on va être au-dessus des 2 millions [du budget], a confirmé M. Bourdages. Mais je ne peux pas encore vous dire combien cette première cohorte va valoir. »

Alors, s’il n’y a déjà plus d’argent, comment financer les demandes déposées lors du second appel d’offres cet été ? « On va devoir avoir des discussions à l’interne pour trouver des fonds additionnels pour financer cette cohorte », a dit M. Bourdages. Le cabinet du ministre de la Sécurité publique du Canada, Ralph Goodale, a confirmé qu’il étudiait la possibilité de hausser le budget. « Nous étudions des options afin d’augmenter les ressources accessibles étant donné le très grand intérêt manifesté à l’égard du programme », a-t-on répondu.

Demande sans précédent

 

Victime de son succès, le PFPIS n’est donc pas habitué à faire face à une aussi grande demande. Ce montant de plus de 2 millions pour la seule année 2017-2018 est plus grand que le total des subventions octroyées au cours des trois années précédentes. Les gestionnaires du programme ont même rappelé des candidats pour leur demander de fournir des documents supplémentaires, raconte Mohamed Golli. « Il a fallu qu’ils se réajustent et, au milieu du processus, ils nous ont demandé d’autres documents. Même [les fonctionnaires] semblaient trouver ça contraignant, mais ils n’avaient pas le choix. Il y avait eu trop de demandes. »

Au cours des dernières années, le PFPIS n’a jamais dépassé son budget, qui était alors de 1 million. Le programme était sans doute peu connu, mais surtout très fastidieux, croit Mohamed Golli. La nature et la quantité des documents à fournir, dans de courts délais, ont alourdi la tâche. « En soi, c’est un très bon programme mais c’est trop réglementé. Toutes ces démarches, ça décourage les gens », a-t-il ajouté.

Il n’en demeure pas moins que 2 millions ne sont pas suffisants pour répondre aux besoins. « C’est vraiment très peu. Mais je comprends le gouvernement. S’il ouvrait l’appel d’offres à toutes les croyances et à toutes les écoles et associations, il se ramasserait avec un budget de plus d’une centaine de millions. »

Distribution du financement aux projets traités au Canada

 
Année fiscale Projets Financement ($)
2014-2015 17 553 656
2015-2016* 1 7544
2016-2017 25 876 669
2017-2018 (à ce jour) 62**   2 249 469
Total 105 3 687 338

*En 2015-2016, l’approbation des projets a été retardée en raison de l’élection fédérale.
** Au total, 70 projets recevront du financement, mais 8 sont toujours en cours de traitement.

Le PFPIS en quelques mots

Quoi ? Des subventions pour protéger les collectivités à risque de crimes haineux.

Pour qui ? Écoles privées, centres communautaires, lieux de culte, etc.

Quand ? Deux appels d’offres : du 1er décembre au 31 janvier et du 1er juin au 31 juillet.

Combien ? 2 millions. Les projets peuvent recevoir jusqu’à 50 % du coût total, et ce, jusqu’à concurrence de 100 000 $.

Où ? Partout au Canada.
 


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