L’attikamek, la langue autochtone la plus vivante du Canada

Dans le cadre du dépôt du projet de loi sur la protection et la revitalisation des langues autochtones, Le Devoir vous propose de (re)découvrir sa série parue à l'été 2017 sur ces langues.


Le Québec est l’hôte de onze nations autochtones reconnues par le gouvernement du Québec, chacune parlant sa propre langue. Certaines de ces langues sont encore parlées par des milliers de locuteurs. Plusieurs sont sur la voie rapide de l’extinction. Cet été, Le Devoir rencontre chaque semaine un locuteur d’une de ses langues. Voici Nicole Petiquay, originaire de Wemotaci, technolinguiste pour le Conseil de la nation attikamek, en Haute-Mauricie.

Nicole Petiquay se souvient de l’année de son déménagement à la réserve attikamek de Wemotaci, en 1972. C’était la première fois que sa famille, qui quittait un état semi-nomade, avait accès à l’eau courante et à l’électricité. « On était tout excités. Nous, les enfants, on passait notre temps à s’amuser avec les interrupteurs. » Nicole Petiquay avait cinq ans. Elle se souvient aussi du temps d’avant, alors qu’ils vivaient en clans de quelques familles, et qu’ils déménageaient les tentes et les cabanons selon les emplois disponibles, dans la forêt ou sur la drave. Comme tous les enfants de la communauté, elle a pris ensuite le chemin de l’école française de la réserve.

« Au début, quand on a déménagé, on ne comprenait pas le français. L’institutrice nous posait des questions comme “qui est ton père ?” et nous, on répétait “qui est ton père ?”», se souvient-elle en riant, dans un très bon français.

Plus tard, des cours d’attikamek ont été intégrés au programme des enfants du primaire de Wemotaci. En 1992, les enfants commençaient la maternelle entièrement en attikamek. Puis, on intégrait 10 % de français en première année, 20 % en deuxième année, 30 % en troisième année. Arrivés en sixième année, 90 % des cours étaient en français et 10 % en attikamek.

 

Aujourd’hui, le pourcentage d’attikamek enseigné à l’école a baissé. « Ce sont les parents qui demandent plus de français, explique-t-elle. Parce qu’ils comparent et ils disent qu’en apprenant la langue attikamek, les jeunes perdent l’équivalent d’un an ou deux au niveau provincial. »

Nicole Petiquay dit pourtant constater que les jeunes qui maîtrisent leur langue et qui connaissent leur culture ont plus d’assurance et donc de meilleurs résultats. « Ce que j’ai remarqué, c’est que plus un enfant est riche de sa langue, de sa culture, plus son identité est renforcée et plus le transfert se fait facilement. J’ai un fils qui a fait le programme bilingue et il est rendu à l’université en sciences politiques », dit-elle.

Parallèlement, du matériel pédagogique a été développé pour enseigner l’attikamek dans les communautés. La langue attikamek compte 15 lettres et 20 sons. Et Nicole Petiquay a composé une comptine sur l’air de Je connais mon alphabet, où elle le décline en attikamek. L’attikamek, explique-t-elle, est la seule langue autochtone qui a gardé le r. « Pour dire un homme, par exemple, on dira iriwin, tandis qu’on dit innu, en innu, eeyoo en cri […]. L’attikamek fait partie de la famille des langues algonquiennes. »

La communauté de Wemotaci a désormais une école secondaire, mais l’attikamek n’y est pas enseigné pour l’instant. La communauté a aussi comme défi de trouver du personnel attikamek compétent pour enseigner.

Aujourd’hui, à Wemotaci, 95 % des gens parlent la langue attikamek, poursuit Mme Petiquay. « C’est encore très vivant, même chez les petits, je les entends parler en attikamek. » La langue est même considérée comme la moins menacée des langues autochtones du Canada.


Pour Christian Awashish, le chef de la communauté attikamek d’Opitciwan, il faut tout de même prévenir le déclin de la langue en misant sur du matériel pédagogique de qualité. « Ça n’est pas parce que tout le monde le parle, et qu’on n’a pas ce sentiment d’être en danger, qu’il ne faut pas être proactif dans la promotion de la langue », dit-il.

Lorsque de nouveaux mots apparaissent dans la société, on consulte les aînés pour trouver un mot attikamek correspondant. Ce mot est relié à l’apparence ou à l’utilité de la chose en question, explique Mme Petiquay. Ainsi, un ordinateur se dira :« ce qui garde la mémoire ».L’attikamek est aussi une langue imagée. Pour parler d’une pomme par exemple, on dit un « fruit rond », explique Christian Awashish. Une école sera un « édifice où on donne de l’enseignement ». Les noms des mois de l’année renvoient à ce que l’on y trouve : février est le mois où les siffleux sortent, juin, le mois des fraises et octobre, le mois où la truite fraie. « Tout est ancré dans le territoire », dit Mme Petiquay. Le fils de Christian Awashish se nomme Waseskum, qui veut dire « ciel bleu sans nuages ». « On est en train de rédiger un lexique et on prépare notre premier dictionnaire », dit Mme Petiquay. Certains mots évoquent des pratiques culturelles. Dans le mot cimetière, par exemple, on retrouve le mot écorce, qui évoque la façon dont les ancêtres enroulaient les corps dans l’écorce pour les enterrer.

Nicole Petiquay fait régulièrement des tournées dans les écoles secondaires de la région pour faire connaître la langue et la culture attikameks. Le professeur d’histoire de l’école secondaire de La Tuque, par exemple, a tenu à ce que ce soient des autochtones qui viennent expliquer leur langue et leur culture en classe.

Les Attikameks sont regroupés en trois communautés : Wemotaci, qui veut dire « la montagne d’où l’on observe », Opitciwan, pour « courant du détroit », et Manawan, qui veut dire « là où l’on trouve les oeufs ». Ils appellent leur territoire Nitaskinan, « notre terre », et ils en ont déclaré unilatéralement la souveraineté en 2014. Ils étaient quelque 7747 en 2016.


En quelques mots

Expressions en attikamek


Bonjour ! Kwei !

Comment ça va ? Ki miro pimatisin ia ?

Ça va bien. Ni miro pimatisin

Merci ! Mikwetc.

Au revoir ! Matcachi.


À voir en vidéo