Incitation au suicide: le cas Michelle Carter soulève des questions jusqu’au Canada

Aucun cas comparable à celui de Michelle Carter n’aurait été répertorié au Canada, selon Pierre Tudel.
Photo: Matt West Associated Press Aucun cas comparable à celui de Michelle Carter n’aurait été répertorié au Canada, selon Pierre Tudel.

Le verdict tant attendu est tombé jeudi. Michelle Carter, cette Américaine de 20 ans coupable d’avoir incité son petit ami au suicide en 2014, a été condamnée à deux ans et demi de prison, dont quinze mois avec sursis. Ce cas singulier soulève des questions jusqu’au nord de la frontière, notamment en ce qui concerne la notion de responsabilité.

L’histoire a fait les manchettes aux États-Unis. Le 12 juillet 2014, Conrad Roy, 18 ans, a été retrouvé mort dans sa camionnette dans le stationnement d’un supermarché près d’une pompe qu’il a utilisée pour remplir son véhicule de monoxyde de carbone.

Pendant des semaines, Michelle Carter, alors âgée de 17 ans, avait envoyé des messages textes à son petit ami pour le convaincre d’en finir avec la vie. Mais c’est un coup de téléphone qui a fait basculer Conrad Roy alors qu’il avait déjà commencé à passer à l’acte.

Lors de la conversation, enregistrée et retransmise lors du procès devant le tribunal pour enfants de Taunton, dans le Massachusetts, Michelle Carter lui ordonne de retourner dans le véhicule, ce qu’il fait. Tandis que la communication se poursuit, elle l’entend commencer à tousser, se sentir mal, mais ne prévient personne, ni la police ni sa famille.

Rare au Canada

 

Au terme d’un procès de huit jours, Michelle Carter a été déclarée coupable d’homicide involontaire en vertu des lois du Massachusetts, où, contrairement à d’autres États américains, il n’y a pas de loi pénalisant l’encouragement au suicide.

Au Canada, une telle loi existe. En vertu de l’article 241 du Code criminel, quiconque encourage ou aide une personne à se donner la mort est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans, et ce, que le suicide soit commis ou non. Des exemptions s’appliquent au domaine médical. « Si la même histoire se produisait ici, ce serait un crime », confirme l’avocat-criminaliste Walid Hijazi.

Selon lui, les accusations pour incitation au suicide sont très rares au pays. « On n’en voit à peu près jamais », soutient-il. Le seul exemple qui vient à son esprit remonte à 1993 et concerne un pacte de suicide entre deux jeunes. « Un des deux a survécu et a été accusé d’aide au suicide », relate M. Hijazi.

Le directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), Jérôme Gaudreault, en vient au même constat. Selon lui, l’intimidation et le harcèlement sur les réseaux sociaux sont beaucoup plus courants que l’incitation au suicide.

Ainsi, aucun cas comparable à celui de Michelle Carter n’a été répertorié au Canada. « Des cas comme celui-là, avec des échanges documentés par les traces laissées par les textos et les échanges sur les réseaux sociaux, on n’en connaît pas », affirme le professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal Pierre Trudel.

Le fait que de plus en plus d’échanges ont lieu sur ces plateformes pourrait toutefois augmenter la probabilité qu’une affaire semblable se produise ici, selon l’expert, qui est également chroniqueur au Devoir. « Ce jugement envoie le message que, lorsque des conversations de cette nature ont lieu dans des environnements électroniques où on laisse des traces, ça peut entraîner des accusations pour incitation au suicide. »

Responsabilité

 

La notion de responsabilité se trouve au coeur du débat de société qu’a suscité l’affaire Michelle Carter. D’un côté, on argue que la responsabilité du suicide repose entièrement sur les épaules de celui qui le commet. « Il n’y a pas eu de geste spécifique posé par l’accusée, c’était essentiellement des paroles », souligne M. Trudel.

De l’autre, on peut établir un lien de cause à effet à la lumière des échanges entre la victime et l’accusée. « Tu seras enfin heureux au paradis. Fini la douleur. C’est correct d’avoir peur et c’est normal. Je veux dire, tu vas mourir », a notamment écrit Michelle Carter à Conrad Roy.

Jérôme Gaudreault se montre prudent. « C’est très grave d’inciter quelqu’un au suicide, avance-t-il, mais plusieurs facteurs vont pousser une personne à passer à l’acte. »

Le directeur général de l’AQPS s’interroge surtout sur l’état de santé mentale de l’accusée dans ce cas précis. « Est-ce qu’elle-même ne se trouvait pas dans une situation de détresse ? »

Un expert psychiatre, cité par la défense, avait fait valoir que la prise de l’antidépresseur Prozac par la jeune femme l’avait « intoxiquée », provoquant chez elle des délires mégalomanes l’incitant à influencer Conrad Roy. Mais le juge a estimé que ce témoignage ne suffisait pas à oblitérer « l’intentionnalité » du comportement de Michelle Carter.

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