Les racines de la violence systémique négligées, selon Marilyn Poitras

L’ex-commissaire Marilyn Poitras
Photo: Fred Chartrand La Presse canadienne L’ex-commissaire Marilyn Poitras

La commission d’enquête sur les femmes autochtones n’est peut-être pas vouée à l’échec, mais elle ne parviendra pas à s’attaquer aux racines de la violence systémique, selon la commissaire démissionnaire Marilyn Poitras.

Mme Poitras s’est exprimée publiquement pour la première fois dimanche — sur les ondes de la CBC — après avoir claqué la porte à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) le 11 juillet dernier.

Dans une lettre envoyée au premier ministre Justin Trudeau, elle disait alors être incapable de remplir ses fonctions « en vertu du processus tel qu’il est conçu dans sa structure actuelle ».

[La commission] ne parviendra pas aux racines de la violence systémique. Je ne vois pas comment elle pourrait y parvenir.

« La commission emprunte une voie qui a déjà été explorée », a expliqué la professeure à l’Université de Saskatchewan d’origine métis, dans une entrevue accordée au réseau anglais de la Société d’État.

Sa démission suit une vague de départs qui étaient déjà venus ébranler la confiance de plusieurs envers la commission. Depuis sa création, la commission a vu quatre autres membres de l’équipe quitter le navire en plus d’avoir eu à gérer une mise à pied.

Même si elle critique les façons de faire de la commission d’enquête, Mme Poitras estime qu’elle pourra satisfaire les attentes de certains.

« Si l’objectif est de mener des audiences et d’entendre des familles raconter leurs histoires, ce ne sera pas un échec. Le système de justice, les commissions et les enquêtes sont conçus pour atteindre certains objectifs et s’ils les atteignent, personne ne sera déçu. […] Mais [la commission] ne parviendra pas aux racines de la violence systémique. Je ne vois pas comment elle pourrait y parvenir », a-t-elle souligné.

L’ancienne commissaire critique le modèle de la commission, qu’elle qualifie de « traditionnel ». À la place d’audiences de consultations, elle aurait préféré que les commissaires se déplacent directement dans les communautés, qu’elles soient en milieu rural, urbain ou encore isolé.

« Nous avons fait des études, nous avons fait des recherches, nous avons visité et observé des Autochtones, des Métis et des Inuits pendant longtemps pour voir quel était le problème. “Racontez-nous votre triste histoire et nous trouverons quoi faire avec” : nous avons déjà fait cela, et si cette méthode fonctionnait, nous aurions déjà réglé le problème. Ça ne fonctionne pas », a-t-elle fait valoir.

Approche coloniale

 

Selon Mme Poitras, la commission n’est pas parvenue jusqu’à présent à tisser des liens avec les communautés autochtones à cause de son approche « coloniale ».

« Le modèle qu’elle utilise est celui des vieilles commissions traditionnelles, avec des audiences. Cette approche coloniale fonctionne comme ceci : des audiences sont organisées, les gens viennent raconter leurs problèmes et l’on doit ensuite trouver une solution », a-t-elle décrit. « Comment allons-nous avoir les informations qui nous permettront de comprendre quoi faire dans ces communautés, si nous ne nous intéressons pas aux racines de la violence systémique ? »

La semaine dernière, la commissaire en chef de l’enquête fédérale, Marion Buller, confirmait également sur les ondes de la CBC que, « comme dans toute famille, il n’y a pas toujours l’harmonie ».

Le principal élément de discorde était la formule de consultation, a expliqué Mme Poitras qui dit avoir souvent été « la minorité » dans le groupe.

« Nous étions souvent en désaccord, par exemple sur le déroulement des audiences : combien d’audiences auront lieu ? Où seront-elles organisées ? »

Selon elle, la recherche du consensus avait pour effet d’entraîner d’importants retards dans la prise de décision.

Mandat clair

 

La commissaire Michèle Audette estime que le mandat de la commission était pourtant clair lors de sa création.

« Au moment où chacune de nous a reçu l’appel pour devenir commissaire, c’était clair que nous participions à quelque chose qui se faisait dans un contexte fédéral et qu’il y aurait des façons de faire selon les lois canadiennes », souligne-t-elle en entrevue avec Le Devoir.

Mme Audette croit que son ancienne collègue était consciente du mandat qui l’attendait, mais qu’elle a sans doute cru être capable de changer les façons de faire.

« C’est une femme très intelligente et ç’a été un privilège de travailler avec elle. Je pense qu’elle savait en quoi consistait la structure de travail, mais qu’elle espérait la changer. Si on avait eu 10 ans devant nous, peut-être qu’on aurait pu, mais la réalité c’est qu’on a des recommandations et une limite dans le temps », souligne-t-elle.

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