Le naskapi, la langue qui a vu le caribou

Allan (au premier plan) et Christian Nabinacaboo ont un groupe de rap, Violent Ground. Les paroles de leurs chansons sont en anglais.
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Allan (au premier plan) et Christian Nabinacaboo ont un groupe de rap, Violent Ground. Les paroles de leurs chansons sont en anglais.

Dans le cadre du dépôt du projet de loi sur la protection et la revitalisation des langues autochtones, Le Devoir vous propose de (re)découvrir sa série parue à l'été 2017 sur ces langues.


Le Québec est l’hôte de onze nations autochtones reconnues par le gouvernement du Québec, chacune parlant sa propre langue. Certaines de ces langues sont encore parlées par des milliers de locuteurs. Plusieurs sont sur la voie rapide de l’extinction. Cet été, Le Devoir rencontre chaque semaine un locuteur d’une de ces langues. Voici les frères Allan et Christian Nabinacaboo, de la communauté naskapie de Kawawachikamach, près de Schefferville.

Dans leur appartement de l’avenue Van Horne, à Montréal, Allan et Christian Nabinacaboo sont penchés sur l’écran de leur ordinateur, et les haut-parleurs crachent le rap rythmé de Violent Ground, leur groupe de musique.

C’est là que les deux frères naskapis, originaires de Kawawachikamach, près de Schefferville, enregistrent la production de leur groupe de musique. « Violent Ground, c’est le nom que nous avons choisi pour notre groupe, pour parler de notre terre, qui a une histoire de violence, dit Allan, l’aîné des deux. L’histoire d’une terre prise de force. »

Le rap de Violent Ground est en anglais, mais la langue maternelle des frères Nabinacaboo est le naskapi. Une langue parlée et partagée par leurs parents et leurs cinq frères et soeurs, biologiques et adoptifs, de la communauté de Kawawachikamach, à 12 heures de train au nord de Sept-Îles. Si leur langue partage des ressemblances avec l’innu et le cri, les Naskapis tiennent à leur identité distincte. L’alphabet syllabique qu’ils utilisent est différent de celui des Cris. Leur communauté, de quelque 600 habitants, a aussi une histoire qui lui est propre. Ces nomades, qui suivaient autrefois les hordes de caribous, ont été déplacés à plusieurs reprises par les autorités, et ont été installés successivement à Fort Chimo, Fort Nascopie et Fort Mackenzie. Au fil des ans, les Naskapis ont déjà tenté, vainement, de retourner à l’autosuffisance. On dit qu’ils ont fait à pied la longue marche de plus de 400 km menant de Fort Chimo (aujourd’hui Kuujjuaq) à Schefferville. Là, ils ont partagé durant un certain temps la communauté de Matimekush avec des Innus. Ce n’est que bien plus tard, au terme de longues négociations tenues en marge de celles concernant l’entente de la baie James, que les Naskapis ont pu bâtir leur propre communauté sur le site de Kawawachikamach. Une théorie veut d’ailleurs que le mot Kawawachimach signifie « longue route ».

Aujourd’hui, à Kawawachikamach, tous les enfants fréquentent l’école primaire et secondaire de l'endroit, où il se donne des cours de naskapi jusqu’en sixième année.

« Je ne connais pas de Naskapis qui ne parlent pas naskapi », dit Allan, 28 ans, dont la femme et les deux enfants font régulièrement des allers-retours entre la communauté et Montréal, où Allan étudie présentement la production musicale. « C’est mon plus jeune qui parle le mieux le naskapi, parce qu’il passe beaucoup de temps avec ses grands-parents », dit-il.

Langue nomade

 

Allan et Christian sont les deux plus jeunes de la famille. Leur père, un Québécois venu travailler dans les mines de Schefferville, s’est installé dans la communauté après avoir rencontré leur mère, une Naskapie. Les deux jeunes portent le nom de leur mère. Le couple a eu quatre fils, et aussi adopté trois autres enfants de proches vivant aussi dans la communauté. Il s'y fait beaucoup de musique, et plusieurs, jeunes et vieux, composent leurs propres textes en naskapi.

Christian, le plus jeune, est le seul qui communique avec sa mère en anglais. « Je ne sais pas pourquoi. Ma mère parle à tout le monde en naskapi, sauf avec Christian », dit Allan.

Les deux frères ont pour leur part commencé à faire de la musique séparément alors qu’Allan étudiait à Timmins, en Ontario. « Moi, j’écris mes textes en anglais et je chante en anglais », dit Christian. Les textes de Violent Ground s’adressent à tous, mais visent aussi, plus précisément, les membres de l’ensemble des Premières Nations du Canada, qui partagent souvent les mêmes réalités, les mêmes problèmes.
 


En naskapi, certains mots sont intraduisibles, disent Allan et Christian. « Un seul mot peut avoir plusieurs significations. Le mot “cerveau”, par exemple. En naskapi, c’est un mot qui veut dire à la fois pensée, cerveau et mémoire », dit Christian. À l’inverse, on n’utilise pas, en naskapi, les mots « s’il vous plaît » ou « je m’excuse ». « Lorsque les gens étaient nomades, ça n’était peut-être pas nécessaire d’être aussi poli. Les gens étaient toujours ensemble, dit Allan. Certaines expressions d’aujourd’hui n’existent pas en naskapi. Pour les utiliser, les jeunes échangent certaines phrases en anglais, puis continuent en naskapi », dit Allan.

La langue écrite, quant à elle, est enseignée au primaire, et peu utilisée à la maison.

« J’ai surtout vu la langue écrite dans la bible. Ma grand-mère a une bible en naskapi, dit Christian. Et parfois, lorsqu’on voit des documents officiels, ils sont en français, en anglais et en naskapi. »

Pour l’instant, Allan dit ne pas être inquiet de l’avenir de sa langue, puisque tous ses amis de la communauté, qui ont son âge, dans la vingtaine, parlent naskapi entre eux. Pour son frère, tout n’est pas gagné. « Cela repose sur la décision des parents de parler naskapi avec leurs enfants. Aussi, si les gens quittent la communauté pour poursuivre des études, ce sont eux qui décident s’ils veulent revenir ou non, et s’ils veulent continuer ou non de parler naskapi », dit Christian.


Quelques mots de naskapi

Bonjour ! Wachiiya

Comment vas-tu ? Tshemiupeinavah

Ça va bien Miam Nemieupein

Merci Tsheniskemeten

Au revoir Wachiiya


Pourquoi «Kwe! Kwe!»

Le titre de notre série sur les langues autochtones tire son origine d’une expression qui veut dire « bonjour » dans plusieurs langues autochtones du Québec — avec différentes variantes. On dit « kway » en abénakis, « kwei » en atikamekw, « kuei » en innu, et « kwe » en algonquin et en wendat. « Kwe kwe » est utilisé par exemple lorsqu’on n’a pas vu quelqu’un depuis longtemps, tandis que « kwe » se dit dans le cadre d’échanges fréquents. Les autres langues autochtones ont d’autres façons de dire bonjour. Nous les aborderons aussi, évidemment.


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