Les chefs autochtones témoignent d'un fossé culturel qui entraîne des «abus de pouvoir»

Dans la communauté de Kitcisakik, dans la réserve faunique La Vérendrye, il n’y a ni électricité ni eau courante  – à l'exception du centre communautaire, alimenté par une génératrice au mazout.
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Dans la communauté de Kitcisakik, dans la réserve faunique La Vérendrye, il n’y a ni électricité ni eau courante  – à l'exception du centre communautaire, alimenté par une génératrice au mazout.

Comme à l’époque des pensionnats pour enfants autochtones, les intervenants des services sociaux fournis par Québec commettent des « abus de pouvoir » et déresponsabilisent les parents en leur imposant la marche à suivre pour élever leurs enfants, dénonce Adrienne Jérôme, chef de la nation anishnabe de Lac-Simon.

« C’est comme les pensionnats, soupire Adrienne Jérôme dans un long plaidoyer à la commission Viens, qui se tient à Val-d’Or pour faire la lumière sur les relations entre les autochtones et les services publics du Québec. On dit aux parents qu’ils sont de mauvais parents, qu’ils ne donnent pas une éducation adéquate à leurs enfants, qu’ils n’ont pas d’habiletés parentales. Les travailleurs sociaux ont enlevé tout le pouvoir des parents, qui n’ont plus aucun contrôle sur leurs enfants. Il faut redonner ce pouvoir aux parents. »

Elle affirme notamment que l’on donne du Ritalin — « une vraie bombe à retardement » — aux enfants sans le consentement des parents.

Flexibilité

 

En écho à la présidente de Femmes autochtones du Québec, qui témoignait lundi d’une grande incompréhension par les intervenants de la réalité des communautés autochtones, la chef de Lac-Simon réclame plus de flexibilité.

« Notre façon de manger est différente. Je n’ai pas vu grand légumes dans mon assiette quand j’étais jeune et j’ai survécu. Aujourd’hui, avec les moyens qu’on a, on ne peut pas tout mettre sur la table. Il y a encore plein d’incompréhensions. C’est le fait d’avoir un frigidaire vide, mais un congélateur plein. C’est le fait que nos enfants boivent du lait Carnation, parce que ça coûte moins cher d’acheter ça à la caisse et que tu en as pour tout le mois, alors que la poche de lait de vache dure deux jours. Il faut que les travailleurs sociaux fassent un effort pour considérer ça, c’est notre façon à nous de mettre de la nourriture sur la table de nos enfants. »

La chef Adrienne Jérôme parle également de l’importance des jeux traditionnels, qui sont perçus comme dangereux. « Ce n’est pas dangereux, c’est l’instinct du chasseur que tu développes chez ton enfant, c’est l’instinct de survie ! En tant qu’Anishnabe, on a le devoir d’éduquer nos enfants à cet instinct-là. »

Parents parfaits ?

Elle affirme que les intervenants de la Direction de la protection de la jeunesse « se donnent beaucoup de pouvoirs, des pouvoirs abusifs », et que ceux-ci « menacent » sans cesse les parents de leur retirer leurs enfants. « Les parents sont découragés, car la barre est trop haute. Ils veulent des parents parfaits, mais personne n’est parfait. »

L’incompréhension est mutuelle, et les parents hésitent à demander de l’aide dans lecadre de certains programmes qu’ils perçoivent comme « des pièges », précise la chef Adrienne Jérôme.

La confiance est à ce point brisée que celle-ci rapporte des échos de suspicion qui circulent dans le village voulant que la DPJ choisisse « nos plus beaux enfants comme cibles » pour les envoyer en adoption à l’extérieur de la communauté.

À Kitcisakik, un village sans eau ni électricité dans la réserve faunique La Vérendrye, la chef Adrienne Anichnapéo se rappelle également des expériences difficiles avec les services sociaux.

 

Au départ, il y avait beaucoup de résistance de la part des parents, affirme-t-elle. Mais, depuis, des tables de concertation ont permis de mieux cerner les enjeux et de trouver des solutions.

« On a eu des enfants qui ont été placés et qu’on a perdus, c’était des expériences de vie tristes qu’on a eu à vivre de voir des enfants disparaître dans les services sociaux. On a essayé de trouver du monde dans la communauté pour servir de familles d’accueil et les services sociaux ont été ouverts à ça. »

Il y a quelques années, la communauté a accepté d’embarquer dans un « processus de reconstruction sociale », qui a entraîné son lot de dénonciations, mais qui a été bénéfique pour tous, précise la chef.

« Beaucoup de parents dans ma communauté ont accepté de l’aide et ça s’est mieux passé après, les parents ont repris leurs enfants avec eux. Il y a des histoires à succès, du moins dans ma communauté. »

Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire, plaide-t-elle. « Des intervenants ont demandé aux enfants de dessiner comment ils voyaient leur avenir. Un dessin m’a marquée : c’était une maison sur pilori, comme on en construit chez nous, avec des fils électriques en haut. Alors oui, j’ai quand même espoir qu’un jour ma communauté va avoir son propre village avec de l’électricité et de l’eau courante, avec des conditions de vie améliorées. »

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