

Connaître et reconnaître une métropole, c’est d’abord en embrasser la réalité sensorielle. En guise de coup de chapeau...
Au-delà du toucher, l’épiderme et le corps tout entier sont sollicités à chaque incursion dans la ville. Une expérience sensorielle unique à Montréal ? Surfer sur les vagues du Saint-Laurent, s’enfumer au pow-wow dominical des tam-tams ou dévaler le mont Royal en luge ? À cette question, les sourcils s’interrogent, les réponses étonnent.
« Moi, quand je pense à une expérience sensorielle intense, c’est celle des casseroles à Montréal. Le choc du métal, la foule, l’engouement, c’est effervescent. Ça me rappelle quelque chose de typique à la ville », raconte la parfumeuse Isabelle Michaud.
Philippe de Vienne puise lui aussi dans le passé un de ses souvenirs sensoriels les plus collés à la métropole. « Quand j’étais petit, j’aimais passer la main sur les murs des différentes stations de métro, car pas une n’est semblable. On l’oublie, mais un aveugle qui passerait sa main sur ces murs pourrait savoir exactement où il est », explique le marchand d’épices, encore fasciné par cet éventail de murs texturés.
Un autre monument iconique de la ville symbolise pour le bédéiste Michel Rabagliati l’une de ses aventures les plus senties dans la métropole. « Je me rappelle avoir traversé le pont Jacques-Cartier en petite bicyclette. C’était, et c’est encore, une expérience sensorielle des plus intenses. Chaque camion qui passe fait vibrer le pont tout entier. Ça me procure des émotions chaque fois et ça me replonge dans le temps où, adolescent, on se rendait à La Ronde en bicyclette. »
Sentir la ville à travers chacun des pores de la peau, c’est un peu l’impression qu’a eue Socalled lors de sa première visite au Bain colonial, le plus vieux sauna gai de la métropole, ouvert à deux encablures de la Main il y a plus de 100 ans.
L’endroit, fondé par un juif au tournant de 1914, fonctionne encore avec un système de vapeur à la pierre naturelle. « C’est une expérience sensorielle unique. C’est une combinaison de bains européens, de hammams et de saunas russes, s’étonne le musicien. C’est tellement chaud, j’ai jamais connu ça ailleurs. »
Parcourir la ville à la recherche de textures et de reliefs, c’est le travail quotidien de Stikki Peaches, artiste et muraliste montréalais dont les collages surgissent dans les coins et recoins de la métropole depuis 2009. Pour l’artiste globe-trotteur qui jette son dévolu sur les surfaces urbaines tant à New York qu’à Milan, Montréal se distingue par ses vieux murs de briques patinées, affichant des enseignes fantômes. Autant de surfaces riches et porteuses d’histoire qu’affectionne l’artiste. « Ces murs remplis d’histoires, le Vieux-Montréal en est truffé. Moi, j’aime leurs textures parce que c’est comme des strates auxquelles je viens ajouter une couche. Je m’insère dans une conversation qui dure depuis des décennies et qui continue », raconte l’artiste, joint à Bologne.
Stikki Peaches adore aussi explorer les creux et les saillies formés par les portes et les cadres dans les murs aveugles de la ville, de petites niches anonymes où il aime voir se lover ses portraits, inspirés du pop art et des icônes de cinéma et de la bande dessinée. « J’aime bien toucher des endroits où se sont déjà posées d’autres mains », ajoute-t-il.
Pour l’auteure Anaïs Barbeau-Lavalette, l’expérience tactile entre toutes reste celle du contact des mains avec la graisse du vélo. « C’est tellement relié à ma ville et très proche d’une émotion. Car le vélo, ça symbolise le retour de la liberté, c’est revenir à la vie. Toutes mes idées naissent sur mon vélo, et ça me permet de m’envoler tant physiquement que dans ma tête. »
Qui dit Montréal dit bien sûr hockey, mais pour le conteur Fred Pellerin, la plus intense sensation vécue entre les murs du Centre Bell n’est pas nécessairement celle qu’on imagine d’emblée. « Les bancs du Centre Bell, au niveau de la fesse, il y a une expérience, là. J’suis pas un gars de hockey, mais y aller là pour le spectacle, avec des amis, je le fais trois ou quatre fois par année. Chaque fois, entre les voyages, tu oublies. Mais quand tu te ramènes la fesse sur la planche, là, tu te rappelles. Ça laisse des cicatrices mentales ! »
Et si rencontrer un Montréalais relevait de l’expérience ultime ?
« Pour moi, l’expérience sensorielle la plus forte, ç’a été de rencontrer un vrai Montréalais ! » rigole Ethné de Vienne, la belle et colorée marchande d’épices originaire de Trinité-et-Tobago. « Rencontrer un homme qui parlait français et qui avait les cheveux longs, Dieu que c’était exotique. Montréal, c’est un peu ça. C’est un port ouvert sur le monde, sur l’exotisme, c’est l’attirance vers les autres. Ç’a toujours été un peu dans l’ADN des Montréalais. »
Connaître et reconnaître une métropole, c’est d’abord en embrasser la réalité sensorielle. En guise de coup de chapeau...
Si tous les goûts sont dans l’assiette, les saveurs associées à la métropole nichent loin de la « saveur locale » vendue...