La gentrification s'accélère et la tension augmente dans Hochelaga-Maisonneuve

La gentrification n’est pas propre à Hochelaga-Maisonneuve ou à Montréal.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir La gentrification n’est pas propre à Hochelaga-Maisonneuve ou à Montréal.

L’embourgeoisement du quartier Hochelaga-Maisonneuve s’accélère. Près de 800 condos se sont ajoutés dans le secteur depuis trois ans, souvent au détriment de locataires qui ont été évincés, ce qui pousse à la hausse le prix des logements et transforme profondément ce quartier autrefois ouvrier.

Un grand sentiment d’insécurité règne chez les locataires d’« Hochelag », comme les résidants de longue date appellent leur quartier. « On finira tous par être évincés », a résumé un participant à un groupe de discussion mené par l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et la firme de sondage Bureau d’intervieweurs professionnels (BIP).

Un rapport synthèse sur ce groupe de discussion, daté du 18 avril 2017, fait partie d’une série d’études remises à l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Le maire de l’arrondissement, Réal Ménard, a commandé ces études à l’INRS en vue des Assises sur la gentrification, qui auront lieu dimanche au Chic resto pop, un organisme communautaire du quartier.

Le maire cherche à protéger les résidants vulnérables et à calmer le malaise qui prend de l’ampleur dans le quartier à cause de la multiplication des condominiums. En 20 ans, entre les années 1997 et 2017, le nombre de condos est passé de 500 à 4000, dont 800 unités qui se sont ajoutées ces trois dernières années, selon les données compilées par le professeur Gilles Sénécal, de l’INRS.

« Oui, il y a de la gentrification dans Hochelaga-Maisonneuve. Une nouvelle population arrive dans le quartier et la gentrification, c’est un mouvement de population », dit le professeur Sénécal.

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Trois hommes photographiés devant la place Valois, souvent qualifiée d'épicentre de la gentrification du quartier

Locataires inquiets

 

À peu près toutes les grandes villes nord-américaines connaissent le même phénomène depuis une cinquantaine d’années : les travailleurs instruits des classes moyenne et supérieure viennent s’installer dans les anciens quartiers industriels situés près des centres-villes. Hochelaga-Maisonneuve ne fait pas exception. Le groupe de discussion (focus group) mené par l’INRS confirme que les résidants, anciens et nouveaux, sont attachés à leur quartier : tous les services sont accessibles à pied, le centre-ville se trouve à 15 minutes à vélo, en métro ou en autobus, les gens se connaissent et s’entraident.

Un des grands avantages du quartier, selon les résidants sondés, est le prix encore relativement bas des logements, malgré les augmentations des dernières années. Mais un gros nuage noir plane sur le quartier.

 

« On a assisté à une augmentation du coût des loyers privés qui va significativement contribuer à appauvrir des segments importants de la population », dit le maire Réal Ménard dans une lettre au Devoir.

« Ainsi, un studio se louait 520 $ en 2015, un logement d’une chambre à coucher, 560 $ et un logement de trois chambres, 841 $. Pareille situation nous amène à conclure que tous les élus du quartier Hochelaga-Maisonneuve doivent être obsédés par la question de l’abordabilité des loyers et les solutions s’y rattachant », ajoute-t-il.

« La question du logement est au coeur des discussions,confirme le rapport de l’INRS. Si les loyers y sont encore abordables, l’inquiétude est grande face à la hausse des valeurs foncières. Les améliorations du quartier comportent un effet pervers : l’imminence des évictions. Certains ont parlé de la spéculation qui accentue l’inquiétude. Les propriétaires assistent également à la hausse des valeurs foncières. »

Cette menace d’éviction est jugée encore plus préoccupante que la « présence envahissante » de la prostitution et du marché de la drogue. Les locataires, surtout les plus pauvres, ont raison de s’inquiéter : les ménages à faible revenu sont les « principales victimes » des vagues d’embourgeoisement qui ont frappé les grandes villes d’Amérique du Nord, indique une des études de l’INRS.

Voici les « gentrifieurs »

Le phénomène est tellement bien documenté que les spécialistes en études urbaines ont inventé un mot pour décrire les gens aisés ou instruits qui viennent s’installer dans les vieux quartiers centraux : « gentrifieurs ». Dans Hochelaga-Maisonneuve, des gentrifieurs se sentent mal à l’aise de venir modifier l’équilibre du quartier.

Les militants anticapitalistes qui vandalisent des commerces soi-disant « bourgeois », comme des boulangeries, dénoncent l’arrivée massive de ces gentrifieurs. Dans les faits, ces nouveaux arrivants dans le quartier ne sont pas tous de méchants spéculateurs qui achètent des condos à gros prix et les revendent à profit deux ans plus tard, selon un sondage mené par l’INRS et la firme BIP. Les chercheurs ont interrogé 2111 résidants du quartier par un sondage mené par téléphone et par Internet. Ce sondage non probabiliste ne comporte pas de marge d’erreur, mais il est basé sur un échantillon représentatif de la population du quartier, indique l’INRS.

Les responsables du sondage ont pu dégager un portrait des gentrifieurs d’Hochelaga-Maisonneuve. La vaste majorité sont des étudiants, des artistes et de jeunes travailleurs. L’embourgeoisement n’est pas qu’une affaire de gros sous, mais aussi une question culturelle, explique Gilles Sénécal.

« Les gentrifieurs sont arrivés dans le quartier avec plus de capital économique que les résidants de longue date, mais aussi avec plus de capital culturel. On a été stupéfaits de voir à quel point les nouveaux résidants sont scolarisés », dit le chercheur.

Les gens qui vivent dans le quartier depuis moins de cinq ans — donc, des gentrifieurs — sont jeunes : la moitié des nouveaux propriétaires ont moins de 35 ans et 84 % n’ont pas 45 ans. La vaste majorité (82 %) des acheteurs sont en couple. Les deux tiers de ces nouveaux propriétaires ont un revenu familial de 100 000 $ ou plus, ce qui peut correspondre à la classe moyenne, explique Gilles Sénécal : par exemple, deux enseignants qui gagnent 50 000 $ chacun.

Les gentrifieurs sont aussi locataires, selon le sondage ; 40 % des étudiants ou des jeunes travailleurs locataires gagnent moins de 30 000 $. La plupart doivent vivre en colocation pour arriver à payer leur loyer. Ils modifient le visage du quartier non pas à cause de l’épaisseur de leur portefeuille, mais par leurs habitudes de consommation.

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