La surveillance des conteneurs est défaillante au port de Montréal

Le port de Montréal est considéré comme la plaque tournante du trafic de drogue et de véhicules volés au Canada au deuxième rang parmi les pires du pays, juste derrière Halifax.
Photo: CMM Le port de Montréal est considéré comme la plaque tournante du trafic de drogue et de véhicules volés au Canada au deuxième rang parmi les pires du pays, juste derrière Halifax.

L’inspection par scanneur des conteneurs du port de Montréal demeure encore pleine de failles. L’appareil de contrôle des grands caissons de transport n’a pas fonctionné un jour sur quatre (26 %) en 2015-2016 et un jour sur dix (9 %) en 2016-2017, selon les données obtenues par Le Devoir auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

« Le système est en panne facilement une journée par semaine, affirme au Devoir un agent en poste au port de Montréal qui désire garder l’anonymat. Ça, c’est le minimum. »

Dans une entrevue réalisée en compagnie de Jean-Pierre Fortin, président du syndicat qui représente 10 000 douaniers au pays, cette source a aussi remis en doute l’efficacité même de l’appareil pour détecter certaines marchandises prohibées, certaines drogues notamment. « De la contrebande bien cachée dans de la marchandise, on ne la verra pas avec ce moyen, soutient-il. Des tests ont été faits, et le scanneur a prouvé son inefficacité. » Les vérifications visuelles et manuelles lui semblent autrement plus à propos. « On a une expression entre agents : “quand on ouvre, on trouve”. »

HCVM-NA

 

L’ASFC explique avoir procédé depuis 2015 à une mise à jour de son programme des appareils mobiles de détection à grande échelle. Certains d’entre eux ont été remplacés, dont l’appareil du port de Montréal, un système d’inspection mobile à rayons X haute énergie baptisé HCVM-NA.

« Par conséquent, les données statistiques antérieures à 2015-2016 mesurent la performance d’un appareil qui n’est plus en service au port de Montréal », commente par écrit Judith Gadbois-St-Cyr, conseillère en communication de l’Agence.

La situation était pire au début de la décennie. Entre décembre 2011 et mars 2013, le scanneur du port de Montréal, d’un modèle plus ancien, n’avait fonctionné que 54 jours. Il avait été en panne complète pendant trois mois, selon les données obtenues alors par Radio-Canada. Ce qui plaçait le port considéré comme la plaque tournante du trafic de drogue et de véhicules volés au Canada au deuxième rang parmi les pires du pays, juste derrière Halifax.

Mme Gadbois-St-Cyr indique ajourd’hui que ses services utilisent « une variété d’outils de détection technologiques visant à détecter les marchandises de contrebande ou prohibées, tels que des appareils à imagerie par rayons X ou à rayons gamma, des chiens détecteurs, et bien d’autres ». Elle précise que les agents des services frontaliers « peuvent utiliser différentes techniques, méthodes et [différents] outils d’examen dans l’éventualité où certains outils ne sont pas opérationnels ou disponibles ».

Pour le reste, l’Agence a refusé au Devoir une demande de visite des installations « pour des raisons de sécurité ». L’ASFC a aussi décliné une demande d’entrevue avec un dirigeant sur les conséquences éventuelles des défaillances intermittentes de l’appareil.

Triage préalable

Photo: Agence des services frontaliers du Canada Le scanneur à conteneurs n’a pas fonctionné un jour sur quatre en 2015-2016.

Les douaniers canadiens utilisent une douzaine de scanneurs montés sur des véhicules pour inspecter les camions et les conteneurs. Chacun coûte entre deux et trois millions de dollars. L’appareil fournit une radiographie détaillée des caissons métalliques pour y détecter la présence d’explosif, de stupéfiants, d’armes de destruction massive ou de marchandise de contrebande.

Les contrôles sont beaucoup plus exhaustifs dans les aéroports. L’inspection de tous les navires et de tous les conteneurs entrant dans un port demeure utopique. « Ça prendrait beaucoup trop de temps pour scanner tous les conteneurs, pense l’agent interrogé par Le Devoir. Il faudrait aussi beaucoup plus d’équipement et de personnel. »

Il faut compter à peu près une minute par balayage numérique. Environ 1,4 million de conteneurs transitent par le port de Montréal chaque année, bientôt deux millions.

Le système de contrôle maritime s’appuie sur le triage préalable des transports. « Globalement, notre rôle est de cibler et d’évaluer le risque de tous les conteneurs maritimes avant leur arrivée au Canada, explique Mme Gadbois-St-Cyr, d’examiner tous les conteneurs et les navires qui présentent un risque élevé et qui entrent au Canada, à l’aide d’agents formés et de divers outils et équipement de détection à la fine pointe de la technologie. »

Là encore, l’agent des douanes exprime des réserves. « Depuis que le triage a été transféré à Ottawa, le succès des inspections est nul, soutient-il. Ce système existe depuis quatre ou cinq ans et il n’y a pas eu de saisie majeure au port. Avant, le système de ciblage se trouvait à Montréal. Les employés connaissaient les environs du port, les compagnies. On avait un bon succès. La centralisation des unités de ciblage pour réduire les frais a été contre-productive dans le mode de transport maritime. Pour les autres modes, il y a eu plus de succès, on le reconnaît. »

L’appareil mobile de détection à grande échelle fait partie de la panoplie et intervient donc en bout de course. Le ciblage préalable se fait maintenant à Ottawa. Il n’y a pas de volume prédéterminé à inspecter, mais moins de 1 % des conteneurs seraient passés au peigne fin selon le syndicat des douanes et de l’Immigration.

« La machine n’est pas active certains jours, mais le reste du temps elle ne fonctionne pas non plus à plein temps, dit Jean-Pierre Fortin. La maintenance prend énormément de temps. Ce sont des machines complexes et très sensibles à notre climat. »

Il explique que la génération précédente de scanneurs HCVM était encore plus capricieuse. « Le modèle NA [adopté en 2015] se veut en constante évolution, dit-il. C’est-à-dire qu’une fois par semaine, le jeudi, les techniciens viennent voir la machine, font des inspections et des ajustements. La machine n’est donc pas opérationnelle ce jour-là, mais l’agence va dire le contraire et comptabiliser cette journée comme opérationnelle. »

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