

Yves Jasmin est l’une des rares mémoires vivantes d’Expo 67. L’ancien directeur des relations publiques, des...
Yves Jasmin est l’une des rares mémoires vivantes d’Expo 67. L’ancien directeur des relations publiques, des communications et de l’information de cet événement d’une envergure sans précédent explique comment il a « vendu » Montréal au monde.
Âgé de 95 ans aujourd’hui, Yves Jasmin a l’esprit vif, la répartie intacte et les souvenirs frais. Depuis son modeste chez-lui aux allures de musée — des affiches, des caricatures, une plaque de voiture et d’autres artéfacts sur le thème de Terre des hommes ornent les murs et jonchent le sol —, il explique, grâce à sa mémoire chirurgicale des événements, comment il a convaincu le monde entier de s’intéresser à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. « Ce qu’il nous fallait, c’étaient les Américains. Les Canadiens, bien sûr, mais les États-Unis, c’était le gros marché qu’on visait », raconte Yves Jasmin, qui fut cinéaste à l’ONF et journaliste, avant d’embrasser une longue et fructueuse carrière de relationniste (Air Canada, Molson, Ford). Il fallait surtout faire mieux que la Foire internationale de New York, qui s’était tenue en 1964 et 1965 et qui avait été un flop, selon lui.
Déjà, quelques années avant l’ouverture d’Expo 67, Yves Jasmin faisait venir des vols et des autobus nolisés de journalistes pour leur faire son « song and dance », soit une opération de séduction destinée à les impressionner. « J’avais un budget assez important pour ça, mais certains journalistes insistaient pour payer, raconte-t-il. Ça commençait, disons, le mercredi soir, la Ville les recevait à dîner à l’hôtel Windsor et leur faisait visiter Montréal. Le lendemain matin, les journalistes étaient invités chez moi pour le petit-déjeuner et, avec notre gang, on leur faisait notre “song and dance”. »
Les journalistes étaient ensuite emmenés sur le site en construction. « C’était une mer de boue. Mais il y avait une petite cabane construite par les fabricants de bois et, pour 10 cents, tu pouvais monter là-dedans et avoir une vue de ce qui se passait sur le site. »
Selon Yves Jasmin, c’est à ce moment-là que la « curiosité était piquée » et que le charme commençait à opérer. Les quelque 50 millions de visites — et non pas de visiteurs uniques, insiste M. Jasmin — lui ont donné raison par la suite.
Yves Jasmin se plonge dans ses souvenirs d'Expo 67
Malgré le succès qu’on lui connaît, l’Expo n’était pas gagnée d’avance. « Peu de gens savent que c’est parce que Moscou s’est désistée que Montréal a pu avoir sa chance », raconte pour sa part l’historienne Huguette Dussault, dont le mari récemment décédé, Michel Dumas, a été le premier président de la Fondation Expo 67 et spécialiste des communications dans les Expositions internationales.
Après le désistement de l’Autriche, le Canada a joué du coude avec l’URSS en 1960, pour finalement voir l’événement lui filer entre les doigts. Le président du BIE a eu tôt fait de rassurer la délégation canadienne en lui disant qu’elle aurait très certainement l’Expo. « Les Russes ne veulent pas avoir à surveiller 20 millions d’étrangers et ne veulent pas non plus montrer au monde entier la misère du système socialiste. Ils vont se désister et, dès que je le saurai, je vous préviendrai », lit-on dans La petite histoire d’Expo 67, un essai d’Yves Jasmin rassemblant anecdotes et souvenirs publié il y a 20 ans.
La prophétie s’avéra. Une exposition commerciale française tenue à Moscou au début de l’année 1962 donna le coup de grâce. Des catalogues des Galeries Lafayette furent massivement distribués, laissant entrevoir toutes les « richesses » de l’Occident, ce qui a déplu aux dirigeants soviétiques, qui ont renoncé à l’Expo. « C’était la première fois qu’une exposition de ce calibre-là allait se tenir hors de l’Europe », précise M. Jasmin. Victorieux, le Canada a d’abord offert l’occasion à Toronto, qui a refusé pour des raisons financières. « Non, merci. Donnez ça à Drapeau, il va se ruiner », avait lancé le maire de la Ville reine.
Dans les quelques mois qui ont précédé l’inauguration, il y avait un certain scepticisme au sein de la population, soutient Serge Martin, président de la Fondation Expo 67 et des Grands Explorateurs, né dans la foulée de cette manifestation d’envergure. « Les entrepreneurs avaient un doute. Ils hésitaient à investir pour avoir une concession de kiosques de souvenirs ou un restaurant. Ils se demandaient si ça allait réellement avoir lieu, explique-t-il. Mais ils ont été pleinement récompensés. Au restaurant steakhouse Klondike, des petits gars avaient été embauchés rien que pour rouler des 25 cents en paquet. »
Certains avaient proposé que l’Expo se tienne sur plusieurs sites répartis dans la ville. Mauvaise idée, avait déclaré Yves Jasmin. En veillant à ne pas répéter les ratés de la foire de New York, il tenait mordicus à l’idée d’un transport sur rail gratuit. Idem pour l’accès au site et la visite des pavillons : pour lui, pas question « de sortir son portefeuille à tout bout de champ ».
L’idée du passeport a été l’un des meilleurs coups de génie d’Expo 67. Elle est parvenue aux oreilles de M. Jasmin, qui l’a tout de suite adoptée.Il a néanmoins dû batailler ferme pour la faire accepter. « La photo, le papier spécial pour ne pas que les estampilles soient recopiées… C’était compliqué et coûteux, dit-il. Mais encore aujourd’hui, c’est un objet de collection. Des milliers de Montréalais l’ont gardé. »
En tout, 41 millions de billets d’un jour, de visas d’une semaine et de passeports permanents ont été imprimés et distribués. Il en coûtait de 20 $ à 35 $ (de 182 $ à 218 $ en dollars d’aujourd’hui) pour un passeport, selon qu’il était acheté avant ou après l’ouverture le 28 avril. « À l’Expo de Shanghai de 2010, ils ont créé une réminiscence du passeport en soulignant que c’était à Montréal qu’il avait été lancé, raconte Mme Dussault. C’était une sorte d’hommage. »
Mais ce passeport ne permettait pas de couper les longues files d’attente, contrairement aux laissez-passer des journalistes. « Ça, c’était très recherché. Au lieu d’attendre quatre heures pour aller voir le Labyrinthe, qui ne méritait pas qu’on attende autant, les journalistes pouvaient passer devant, explique-t-il. Si on attrapait quelqu’un avec une fausse carte, il pouvait presque être emprisonné ! »
Pour promouvoir Expo 67, Jasmin et son équipe ont aussi beaucoup voyagé, en Europe (Grande-Bretagne, France) et surtout aux États-Unis. De petits messages publicitaires d’une minute ont même été tournés avec le concours de Maurice Chevalier, de Yuri Gagarine et d’Ed Sullivan. « C’était pour le peuple américain. On voulait leur faire comprendre que c’était vrai, ce qui se préparait. Ce n’était pas une invention ! » Mais le bon coup de marketing publicitaire a été sans contredit l’achat — très coûteux — d’une annonce dans le magazine américain Life, à l’époque tiré à neuf millions d’exemplaires. « Ça disait quelque chose comme : “Voyez ce que les Russes construisent à 60 kilomètres de la frontière américaine”, et on montrait le début de la construction du pavillon soviétique. Ça avait l’air d’une rampe de lancement », rigole Yves Jasmin.
En pleine guerre froide, cet éclair de génie a eu son effet. Le reste, c’est l’histoire, comme disent nos voisins les Américains, qui n’ont pas boudé leur plaisir de venir visiter le « monde entier » dans un Québec qui entrait dans la modernité.
Yves Jasmin est l’une des rares mémoires vivantes d’Expo 67. L’ancien directeur des relations publiques, des...
Expo 67 a permis d’expérimenter des formats novateurs en cinéma.
Serait-il possible aujourd’hui de lancer un projet d’une telle ampleur?
Le maire Jean Drapeau rêvait d’une grande tour pour l’Expo.
Relisez notre article publié le jour de l'inauguration officielle de l'Exposition universelle, le 27 avril 1967.