Il existe d’autres options que «l’austéritarisme»

Ce texte fait partie du cahier spécial Innovation sociale
La société capitaliste traverse une crise dont elle n’arrive pas à se remettre. Quelques-uns des révélateurs de cette crise sont la concentration et la répartition inégale de la richesse, qui ne cesse de s’accroître, comme le dénonce Oxfam année après année, l’érosion de la cohésion sociale, due entre autres à la « panne de l’ascenseur social » montrée par l’OCDE, et la précarité de nombreux travailleurs et travailleuses, dont plusieurs d’origine immigrante, qui, tout en ayant un emploi, restent enfermés dans la pauvreté. Les institutions existantes semblent incapables de répondre d’une manière efficace et inspirante à ces problèmes sociaux profonds, lesquels d’ailleurs risquent de se voir intensifiés par les changements technologiques introduits par le « numérique » dans les processus de production des biens et des services. Ces changements constituent ce que certains désignent comme la « quatrième révolution industrielle », nouveau mantra des stratèges de la compétitivité, dont l’objectif est de remplacer les employés par des robots.
Or, parallèlement à ces problèmes, voire à cause d’eux, le nombre des expérimentations sociales visant à y remédier s’est multiplié au cours des dernières années. À travers des expériences de financement solidaire, de sécurisation alimentaire, d’accès au logement, de création culturelle, de services aux personnes en situation précaire, d’inclusion sociale, d’entrepreneuriat collectif, de protection environnementale, de protection de personnes réfugiées et immigrantes, on voit émerger des pratiques qui renouvellent l’organisation du travail et des échanges ainsi que les conceptions du vivre ensemble. Il est possible de voir dans ces expérimentations des tentatives de reconstruction sociale même si celles-ci demeurent pour le moment marginales. Les solutions à la crise de la société existent donc, mais, comme l’a montré le penseur Boaventura de Sousa Santos, elles sont peu visibles, peu reconnues et surtout peu valorisées par les détenteurs du pouvoir économique et politique. Il est donc crucial de les repérer, de les analyser dans une perspective globale et de dégager leur motivation commune. Leur mise en commun devient nécessaire afin de construire une solution rechange à la vision néolibérale dominante des milieux décisionnels ; vision qui soumet la société aux impératifs économiques, voire aux intérêts des détenteurs du pouvoir économique.
L’analyse de ces expériences sous l’angle de l’innovation sociale nous amène précisément à examiner ce qui est en train de se construire au travers de la crise, cet « alternatif » qui émerge de la pratique des acteurs sociaux. Une telle analyse favorise la construction d’une approche fédératrice permettant la reconnaissance de la nature émancipatrice de ces expériences. L’étude des initiatives ainsi que des organisations qui les mettent en oeuvre amène également à s’intéresser aux possibles, aux potentiels, aux capacités sociales ou encore aux utopies susceptibles d’inspirer et d’animer de nouveaux imaginaires. Il s’agit alors de valoriser les initiatives porteuses d’espérance, de comprendre les potentialités en présence et d’inviter à l’action, à la construction d’un avenir plus juste sur les plans culturel, social, économique et environnemental.
Vers une reconnaissance
Dans le cadre de la multiplication et la diversification des expériences innovatrices, le défi relève donc d’abord de la reconnaissance : faire connaître et reconnaître les pratiques émergentes comme valables, comme justes, et donner à voir leur capacité à transformer le monde. C’est ainsi qu’on peut passer d’une vision minimaliste de l’innovation sociale, selon laquelle les acteurs sociaux et communautaires agissent de manière à pallier « l’austéritarisme » gouvernemental et les absences provoquées par le marché, à une approche plus large orientée vers une véritable transformation sociale dans la perspective d’une sortie urgente de la crise dans laquelle nous sommes empêtrés. Une telle approche rappelle que l’économie est encastrée dans le social et que les objectifs du développement économique doivent être soumis aux impératifs sociaux et environnementaux.
Ainsi, lutter pour faire reconnaître la capacité de la société civile à réinventer le monde, c’est réagir au fameux « il n’y a pas d’autre solution » si présent dans le discours ambiant des décideurs économiques et politiques. C’est aussi et peut-être surtout donner à voir des initiatives auxquelles le discours dominant donne peu d’importance parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans sa logique économique, laquelle est essentiellement productiviste et, disons-le, destructrice. Il s’en dégage le besoin d’une transition écologique, sociale et territoriale où les rapports au travail et à la consommation doivent être repensés. C’est ré-imaginer des institutions et des pratiques à même d’accroître la capacité de la collectivité de favoriser le bien commun. C’est aussi affirmer qu’une société créative et innovatrice devrait s’inscrire dans une vision large de l’innovation orientée vers le développement économique, certes, mais aussi vers la mise en oeuvre d’un écosystème d’innovation où les innovations technologiques et les innovations sociales se croisent et se complètent. Un tel écosystème devrait remettre en cause les rapports inégalitaires entre les genres, les populations et les territoires, et ce, dans le but d’améliorer la qualité de vie des citoyens aussi bien dans leur lieu d’appartenance et dans leur milieu de travail, que dans la société en général ici et ailleurs.
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