Les appareils électroniques interdits en cabine

Les passagers de vols directs en provenance de huit pays, majoritairement du Moyen-Orient, et à destination des États-Unis ne pourront plus transporter avec eux en cabine des appareils électroniques. Adieu ordinateurs portables, tablettes, consoles de jeux, liseuses et autres distractions numériques, qui devront dorénavant se retrouver dans la soute à bagages. Seuls les téléphones cellulaires seront encore acceptés.
Craignant un risque d’attentats terroristes, le gouvernement américain a décidé de s’attaquer aux objets susceptibles de dissimuler une bombe dans un avion. La nouvelle mesure, qui entrera en vigueur dès samedi, s’appliquera essentiellement aux vols sans escale en provenance d’Égypte, de Jordanie, du Koweït, du Maroc, du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Turquie et des Émirats arabes unis. En tout, une cinquantaine de vols quotidiens de neuf compagnies aériennes partant de dix aéroports internationaux seront affectés. La Turquie a rapidement réagi à l’annonce, demandant à Washington « de revenir en arrière ou d’alléger » sa mesure.
Le Royaume-Uni n’a pas tardé à emboîter le pas, visant quant à lui la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Égypte, la Tunisie et l’Arabie saoudite.
Au Canada aussi ?
La France et le Canada envisagent aussi d’adopter une politique similaire. « Nous allons examiner l’information qui nous a été donnée et nous allons ensuite décider comment procéder »,a déclaré le ministre des Transports, Marc Garneau, en contact étroit avec le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, John Kelly, depuis lundi.
Le ministère des Transports a précisé au Devoir qu’il mène actuellement, de concert avec le ministère de la Sécurité publique, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), sa propre analyse de la situation et de la menace. Sans indiquer de date précise, M. Garneau a affirmé que ce dossier était maintenant une priorité et qu’une décision serait rendue publique rapidement.
Si le Canada n’est pas directement visé par la mesure, un ressortissant voyageant dans un des pays concernés devra forcément se plier à la réglementation.
« L’examen de renseignements indique que des groupes terroristes continuent de viser le transport aérien et cherchent de nouvelles méthodes pour perpétrer leurs attentats, comme dissimuler des explosifs dans des biens de consommation », a expliqué un des responsables américains mardi pour justifier la décision, sans pour autant préciser la nature des renseignements dont Washington dispose.
Selon CNN, cette directive serait liée à une menace d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), la branche du groupe djihadiste au Yémen. La chaîne ABC cite, elle, une source proche du renseignement qui évoque plutôt le groupe État islamique.
Cette « mesure extrême » du gouvernement Trump pourrait suggérer l’existence de réelles craintes d’une attaque terroriste, d’après Stéphanie Carvin, experte en sécurité nationale à l’Université Carleton.
« Il y a eu des antécédents, rappelle-t-elle. Le 2 février 2016, une bombe dissimulée dans un ordinateur portable a explosé dans un avion [un Airbus A321 de Daallo Airlines] qui partait de Somalie. » L’attaque revendiquée par les islamistes somaliens shebab affiliés à al-Qaïda avait provoqué un trou d’un mètre de diamètre dans le fuselage de l’avion et tué le présumé responsable. L’explosion aurait pu faire bien plus de morts si l’engin n’avait pas explosé juste après le décollage, au bout de 15 minutes de vol.
Une opinion que partage Benoît Gagnon, directeur en cybersurveillance et sécurité de l’information pour le Corps canadien des Commissionnaires. « Le Canada et le Royaume-Uni font partie des "five eyes", les pays de la grande surveillance électronique. On sait qu’ils sont proches des États-Unis et qu’ils se communiquent beaucoup d’informations. C’est donc logique que les alliés suivent. »
Une mesure inutile ?
Plusieurs experts doutent toutefois de l’efficacité de cette directive. « Al-Qaïda et le groupe État islamique sont partout dans le monde, pourquoi viser juste ces aéroports ? » se questionne Stephanie Carvin.
Le gouvernement Trump ne fait que prévenir les potentiels terroristes avec cette annonce en grande pompe, croit de son côté Janine Krieber, professeure retraitée au Collège militaire royal de Saint-Jean. « Si j’étais un terroriste, je ne partirais pas des pays visés, je prendrais des vols intérieurs, de Paris vers Montréal puis les États-Unis, qui sont considérés comme des vols peu risqués. »
Aux yeux de Benoît Gagnon, les personnes désirant commettre un attentat doubleront d’imagination et trouveront une faille dans le système. « Ils utiliseront quelque chose de plus complexe, ou au contraire, si simple que ça va échapper à la sécurité. Les terroristes nous habituent à penser l’impensable et à réussir l’impossible. »
Il estime qu’il faudrait renforcer la sécurité dans les aéroports plutôt que dans les avions. « C’est devenu tellement difficile de s’attaquer directement à un avion que les terroristes visent davantage les aéroports. On l’a vu avec Bruxelles. »
La nouvelle mesure pourrait même avoir un effet inverse, selon lui, puisque les bagages en cabine sont plus surveillés que ceux en soute. Les batteries de certains ordinateurs portables peuvent s’enflammer, ce qui est plus facilement détectable lorsque l’appareil est en cabine.
Un geste symbolique
D’après Mme Krieber, interdire les appareils électroniques est avant tout symbolique. « On veut montrer aux gens qu’on fait quelque chose, on rassure les voyageurs. Mais la sécurité totale n’existe pas. »
Elle ne serait pas surprise de voir les systèmes de contrôle dans les aéroports se renforcer encore plus dans les prochaines années. « Il se peut qu’un jour on nous interdise carrément tout, aucun bagage en cabine, rien. Et personne ne va contester, car on veut juste prendre notre avion. »
Aucune échéance n’a été pour le moment dévoilée par les autorités. Si toutefois les mesures n’étaient pas respectées, Washington empêchera les compagnies aériennes concernées de voler vers les États-Unis.
Cette restriction s’inscrit dans un contexte de durcissement de la politique migratoire aux États-Unis, depuis l’entrée en fonction du président Donald Trump le 20 janvier dernier.
Ce dernier tente depuis plusieurs semaines de faire passer son décret interdisant l’entrée sur son territoire aux ressortissants de six pays majoritairement musulmans, ainsi qu’aux réfugiés. Le décret a été une première fois bloqué par des juges fédéraux en janvier. Sa version corrigée a subi le même sort il y a quelques semaines.