Une vieille loi freine l'embauche d'immigrants

Une récente décision de la Commission des droits de la personne relance le débat sur l’apparente illégalité de la Loi sur les syndicats professionnels qui tarde à être modifiée par le gouvernement. Selon l’article 8, il faut en effet être citoyen canadien pour pouvoir être membre du personnel ou du conseil d’administration d’un syndicat. En plus d’être discriminatoire et de nuire à l’emploi des immigrants, cette loi est potentiellement inconstitutionnelle, estiment des juristes.
« Au-delà de se demander si c’est moral, on peut carrément se poser la question : est-ce que c’est légal ? À mon avis, il est fort probable qu’on déroge ici à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à l’égalité », soutient Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure de droit du travail à l’UQAM, soulignant que très peu de gens connaissent bien cette loi.
Dans l’Arrêt Andrews (1989), la Cour suprême s’était déjà prononcée dans un cas semblable et avait donné raison à un avocat résident permanent, mais non citoyen, qui avait été exclu du Barreau de la Colombie-Britannique. « On ne peut empêcher d’accéder à un emploi toute une catégorie de personnes pour le seul motif qu’elles n’ont pas la citoyenneté et sans égard à leurs diplômes et à leurs compétences », explique la professeure.
Une Haïtienne congédiée
Ici, le cas, sur lequel s’est prononcée la Commission des droits de la personne et des droits de la Jeunesse, est celui d’une technicienne comptable d’origine haïtienne, qui a été engagée en septembre 2015 puis congédiée quelques jours plus tard sous prétexte qu’elle n’avait pas sa citoyenneté. L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires a en effet invoqué l’article 8 de la Loi sur les syndicats professionnels pour justifier son renvoi. Avec l’aide du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), K.A., qui a étudié au Québec et qui est résidente permanente, a porté plainte alléguant qu’elle avait été victime de « discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique ou nationale » dans le contexte de son emploi. Sans succès.
Dans sa décision rendue la semaine dernière, la Commission a en effet indiqué que la citoyenneté ne se trouve pas parmi les motifs de discrimination énumérés à l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés, notamment la race, la couleur, le sexe, l’identité́ ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, etc. La plainte n’a donc pas été retenue. « Il faut que les faits permettent d’indiquer que la dame a été congédiée parce que, par exemple, elle était née à l’étranger, avait la double citoyenneté ou était de race noire. Mais si le motif de congédiement repose uniquement sur le fait que la dame ne disposait pas de la citoyenneté canadienne, effectivement, ce n’est pas protégé explicitement par la charte », explique Mme Gesualdi Fecteau.
Sa collègue professeure en droit à l’UQAM, Lucie Lamarche, déplore que la Commission ne se soit pas montrée « très audacieuse », même si son interprétation tient la route. « Elle a été extrêmement prudente. Mais elle aurait pu estimer que finalement, ce sont toujours les personnes racisées qui sont exclues en raison de cette question de citoyenneté. C’eût été une décision audacieuse et fragile mais, à mon avis, pas tout à fait déraisonnable ».
Une loi obsolète
D’autant que cette disposition de la loi, promulguée en 1924, est aujourd’hui obsolète, poursuit-elle. « Cette exigence de citoyenneté n’a plus aucun rapport aujourd’hui », poursuit-elle. Pour la petite histoire, la Loi sur les syndicats professionnels, avait à l’époque des intentions protectionnistes et nationalistes visant à empêcher notamment les Américains et les communistes d’intégrer les syndicats. « Ça fait des années qu’on nous promet de faire le ménage dans la loi pour l’épurer de tout ce qui constitue un obstacle à l’emploi. On attend encore ».
Pour le CRARR, l’exigence de citoyenneté devient une « excuse » utilisée par les employeurs racistes. « On craint que plusieurs personnes soient discriminées de cette manière ». Selon lui, 1740 syndicats et OSBL sont incorporés sous cette loi et près de 40 000 immigrants, qui n’ont pas d’emblée la citoyenneté, s’installent au Québec annuellement.
Qu’à cela ne tienne, avec une dizaine d’organismes au service des immigrants, il mènera la lutte. Il déplore le silence et l’inaction des ministres de l’Immigration et de la Justice qu’il a pourtant informées à la fin 2015. Il n’exclut pas d’aller plaider l’inconstitutionnalité de la loi devant les tribunaux.