Du petit coin au compost, au nom de l’environnement

Les bacs bruns se multiplient aux quatre coins du Québec, faisant leur entrée dans les foyers des Québécois qui s’initient tranquillement à la collecte de déchets organiques. Portés par une forte conscience environnementale, certains habitués décident de pousser l’expérience plus loin en compostant leurs excréments.
Soucieux de réduire son impact sur l’environnement, Martin Zibeau a installé il y a cinq ans une toilette sèche — qui fonctionne sans eau — dans sa résidence en Gaspésie. Il mêle depuis ses excréments à ses résidus de table pour en faire du compost qu’il utilise comme engrais dans son potager.
Cela fait une quinzaine d’années que ce père de famille a adopté ce mode de vie. « J’ai habité 10 ans près de Yellowknife, dans un endroit où il n’y avait ni eau ni électricité. On n’avait pas le choix. De retour au Québec, il n’y avait pas de retour en arrière possible. »
Simplicité
Le système est simple : un banc de toilette est installé sur un contenant de 20 litres dans lequel il verse de la sciure de bois pour aider la décomposition de la matière fécale et éviter les odeurs. Le récipient est vidé une fois par semaine dans le fond du jardin.
Une toilette traditionnelle est disponible pour les invités réticents, mais aussi dans le but de respecter la réglementation en vigueur au Québec. Celle-ci oblige les habitations à se doter d’une toilette à chasse reliée à une fosse septique. La toilette sèche, ou toilette à compost, est autorisée en cas de dernier recours. Une politique qui soulève l’incompréhension de M. Zibeau : « C’est une idée ridicule de faire nos besoins dans de l’eau potable. C’est un énorme gaspillage de nos ressources naturelles. »
Le monde est divisé en deux catégories de personnes : celles qui chient dans leurs réserves d’eau potable et celles qui ne le font pas. Nous, du monde occidental, sommes dans la première catégorie.
Une opinion que partage André Leguerrier. Vivre à Montréal ne l’a pas empêché de composter ses déjections dans son petit jardin. Mais la pratique n’est pas sans contraintes : « Sans un terrain, la toilette sèche et le compostage des excréments n’ont que peu d’avenir en ville », estime-t-il.
Aux yeux de Sandrine Seydoux, présidente de l’organisme à but non lucratif Terr-O-Nostra, il est pourtant urgent de trouver une autre solution que le système du tout-à-l’égout. En plus de gaspiller l’eau potable, il présente certains risques sanitaires, selon elle.
« On se rappelle tous le flushgate », s’exclame-t-elle, faisant référence à la saga des égouts de Montréal à l’automne 2015. Cet événement a rappelé que les eaux usées étaient encore déversées dans le Saint-Laurent, notamment lors de travaux dans les stations d’épuration. « Des bactéries de nos excréments se retrouvent dans les eaux, en plus des contaminants chimiques qui viennent des industries et des commerces », s’inquiète-t-elle.
Un engrais naturel
Composter sa matière fécale permet aussi d’éviter le gaspillage de nutriments, selon l’Américain Joseph Jenkins, auteur du Petit livre du fumain. Écrit en 1994, son ouvrage constitue un guide essentiel pour ceux qui s’aventurent dans le compostage de leurs excréments, croit André Leguerrier, qui a signé la préface de la version française publiée récemment.
L’auteur y évoque l’importance de respecter le « cycle nutritif humain » qui consiste à rendre à la terre ce qui vient de la terre. « Lorsque nous jetons le fumain comme un déchet et polluons nos sols et nos réserves d’eau avec lui, nous l’utilisons de façon incorrecte, et c’est là que réside le danger. Lorsque nous le recyclons de manière constructive en le compostant, il enrichit notre sol », écrit-il.
Les déjections humaines contiennent encore des protéines et lipides, rappelle la doctorante en génie des eaux à l’Université Laval Catherine Bourgault. « C’est gratuit, tout le monde en produit, et ça peut être réutilisable dans l’agriculture comme engrais naturel. »
Un risque pour la santé publique ?
Cette pratique n’est pourtant pas autorisée au Québec. Les seuls produits faits à partir de boues municipales et d’excréments humains pouvant être utilisés dans des potagers sont les produits certifiés par le Bureau de normalisation du Québec, qui atteignent le plus haut niveau de désinfection, rappelle le ministère de l’Environnement. « Pour les autres produits faits à base d’excréments humains, leur épandage est strictement interdit pour fertiliser des fruits et légumes dans une ferme, et par extension dans un potager », précise le ministère.
Une décision qui découle des risques de contamination des sols lorsque le compost n’est pas fait de manière rigoureuse.
Catherine Bourgault insiste en effet sur la nécessité de composter cette matière fécale avant de l’appliquer sur les terres, pour éviter toute contamination. « Le risque zéro n’existe pas, même chez un individu sain », souligne-t-elle. Tout comme le fumier d’animaux, les selles humaines peuvent contenir des micro-organismes pathogènes, tels que des bactéries, des virus, des parasites, qui se développent dans les intestins.
Un bon compost doit ainsi monter jusqu’à une température de 55 degrés, rester humide et reposer pendant un certain temps pour tuer les pathogènes, soutient Onil Samuel, conseiller toxicologue à l’Institut national de santé publique du Québec.
Si les procédures ne sont pas suivies à la lettre, il y a un risque pour la santé publique, prévient-il. « Certaines toilettes à compost ne suffisent pas. Un système chauffe directement les excréments contrairement à la toilette sèche, mais ça atteint rarement 55 degrés et, surtout, ça élimine l’humidité nécessaire au processus. » Cela justifie, selon lui, que seules deux toilettes à compost soient homologuées dans la province.
Catherine Bourgault se montre moins alarmiste. « Un compost mal géré, ça va amener une diarrhée, mais ce n’est pas dangereux, explique-t-elle. Il n’y a pas plus de risques de composter de la matière fécale humaine que celle d’animaux. »
Justement, au cours de ses études, Onil Samuel a constaté la persistance de certaines substances médicamenteuses, telles que les antibiotiques, dans le fumier d’animaux. « Certes, les traces sont dans le fumier, pas dans les fruits ou les légumes cultivés », reconnaît-il. Le sujet reste trop peu documenté et mériterait davantage d’attention du milieu scientifique, d’après lui.
Une peur persistante
Si Joseph Jenkins conseille dans son manuel de laisser le fumain reposer un à deux ans, Martin Zibeau préfère attendre au moins trois ans. « Le compost doit être très chaud pour éliminer les pathogènes, alors avec nos hivers, ça prend plus de temps. »
Mais il ne s’inquiète pas outre mesure des contaminations. « Si le compost est bien fait, pourquoi ne pas l’utiliser ? J’ai plus de peur d’attraper des maladies en allant à l’hôpital. »
M. Zibeau avoue toutefois « se garder une petite gêne » en utilisant cet engrais uniquement sur les aliments qui poussent hors de la terre. « Par précaution, je ne vais pas planter mes carottes ou mes patates en contact direct avec le fumier. »
Éducation et mentalité
Une inquiétude persistante qu’il explique par son éducation et la mentalité des sociétés occidentales. « La peur est là, on est conditionnés pour considérer ça comme un déchet. Les excréments, on ne veut pas les voir, on ne veut pas en entendre parler, on veut que ça disparaisse, on fait comme si ça n’existait pas. »
« C’est sûr que, si ça sentait la rose, on verrait ça autrement », dit en riant Catherine Bourgault. La jeune chercheuse regrette que les déjections humaines soient considérées comme un tabou. « La plus grande barrière au compostage de la matière fécale humaine n’est pas de nature technologique ou scientifique, elle est sociale. »