Kerem et les petits miracles

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Abdulrahim et Fatoum Ramadan partagent leur temps entre l’hôpital, où se trouve leur fils malade, et leur nouveau chez-soi montréalais.
 

Ce ne sont pas les portes de l’aéroport qui se sont ouvertes pour le petit Kerem Ramadan, à son arrivée comme réfugié il y a deux mois. Mais plutôt celles de l’ambulance, qui l’attendait sur le tarmac. Direction soins intensifs de l’hôpital montréalais le plus proche.

Atteint de dystrophie musculaire, une maladie dégénérative rare, Kerem, qui respire par une trachéotomie et doit être nourri par gavage, pesait à peine 13 kg, un poids complètement anormal pour un garçonnet de huit ans. Son état de santé périclitait et surtout, il ne souriait plus comme il avait l’habitude de le faire. On craignait le pire.

Sa mère, Fatoum, se souvient bien du tumulte de leur arrivée au Canada. « J’ai manqué le festival », balbutie-t-elle en français, soulignant avec un brin d’humour qu’elle n’a pas eu droit à l’accueil en grande pompe que son groupe de parrainage avait réservé à sa famille. Mais dehors, à la sortie de l’avion, quelques membres du groupe, dont une urgentologue, attendaient impatiemment l’enfant et sa mère. Tout le monde savait que pour le petit, il était minuit moins une. « Même l’agent d’immigration a fait signer les papiers dans l’ambulance, raconte Malek Batal, l’un des leaders du groupe de parrainage. Ça ne se fait jamais, mais il a eu cette grandeur d’âme. Il y a des petits miracles parfois. »

Son père, Abdulrahim, avoue quant à lui n’avoir que très peu de souvenirs de cette arrivée, si ce n’est que ça a été l’une des journées les plus difficiles de sa vie. « J’étais là, mais je dormais debout », raconte-t-il en anglais, évoquant la fatigue des préparatifs ayant précédé le voyage. « Les deux jours avant le départ, on n’a pas dormi. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Je ne sais pas où ils sont allés, mais les médecins, chez nous, étaient tous partis», raconte le père de famille.

Survivre en Turquie

 

Ces dernières années, dormir était devenu un luxe pour Fatoum et Abdulrahim. Depuis leur fuite vers la Turquie en 2012, ils étaient en survie. Guerre oblige, la famille originaire des alentours d’Alep avait quitté abruptement la Syrie, sans argent ni vêtements. L’équivalent du CLSC dans le village où il habitait venait de fermer. « Je ne sais pas où ils sont allés, mais les médecins, chez nous, étaient tous partis », raconte le père de famille.

Quand on voulait bien lui offrir du boulot, Abdulrahim travaillait comme plâtrier décorateur. Leurs deux aînés, Walid et Rawan, fréquentaient l’école des Syriens en après-midi, tout juste après les classes des enfants turcs. Fatoum, elle, passait ses jours et ses nuits auprès de son fils à l’hôpital. Le personnel ne s’occupant que de l’aspect médical, elle devait changer les couches de son fils, le nourrir avec des seringues et nettoyer fréquemment ses sécrétions. Il leur fallait même payer pour le matériel médical. « Les Ramadan devaient constamment se battre pour avoir de bons services », souligne Elizabeth Hunter, l’une des marraines du groupe.

On a été surpris par la lourdeur des besoins de l’enfant et de la famille

 

La famille était sur la liste du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU depuis 2014 et leur avenir devait être aux États-Unis. Mais l’ambassade américaine faisait des siennes. Elle demandait l’impossible, raconte Abdulrahim. Comme de traverser toute la Turquie jusqu’à Istanbul avec Kerem pour que son état de santé soit évalué. « C’était une excuse pour ne pas nous prendre avec notre enfant malade », croit-il. «Le Canada, c’est tellement mieux que les États-Unis. On veut dire merci».

Des États-Unis… au Canada

À bout de souffle, ce père de famille a même envisagé de prendre la mer pour rejoindre l’Europe. Mais — autre petit miracle — il s’est plutôt retrouvé sans trop savoir comment avec les coordonnées du responsable des parrainages à la Table de concertation des organismes pour les réfugiés et immigrants (TCRI).

Après maintes tentatives pour jumeler cette famille en détresse, un groupe de perles rares s’est manifesté. « On a eu droit à un plaidoyer très convaincant. J’ai été très touchée par leur histoire », dit l’une des marraines des Ramadan, Nathalie Marchildon, qui n’a pas hésité une seconde à se lancer dans cette aventure.

La demande de parrainage a été déposée à la fin août 2016. L’état de Kerem ne cessait de s’aggraver. Jusqu’à ce que l’urgentologue, qui venait de se joindre au groupe, sonne l’alarme un mois avant Noël. Au cours d’un entretien sur Skype, elle avait constaté que Kerem était dans un état très critique. Le temps pressait.

« On n’a pas bien mesuré les implications. On a été surpris par la lourdeur des besoins de l’enfant et de la famille », admet Malek Batal. Le groupe s’est activé en moins de deux. Lettres, coups de fil aux différents ministères. Ce fut le branlebas de combat. Devant l’urgence, la mobilisation — et la réception des autorités — a été exceptionnelle. « On s’est surpris nous-mêmes de notre efficacité. On était en pâmoison devant ce que notre groupe avait accompli », ajoute-t-il.

Dormir…

Depuis l’arrivée de leurs nouveaux amis syriens à la toute fin de décembre 2016, les parrains font tout en leur pouvoir pour les soutenir. Paperasse, prises de rendez-vous, séances de familiarisation avec le quartier. « Il y a même un comité chargé de l’organisation des comités », lance le fils de Malek. Le mois dernier a été plutôt « intense », reconnaît Nathalie Marchildon, qui, par ce beau mercredi soir de semaine, est venue les aider à inscrire les deux plus vieux dans des camps d’été.

N’empêche, l’incertitude concernant leur fils continue les ronger. Les Ramadan craignent de ne pas avoir assez d’une année pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Entre les allers-retours à l’hôpital et les cours de français, il angoisse à l’idée de ne pas être capable de se trouver un emploi. Au moins, sachant Kerem entre bonnes mains, ils peuvent en profiter pour se reposer un peu.

« Oui, on est venus dormir au Canada », plaisante Abdulrahim, bien assis dans le salon de son coquet appartement de Côtes-des-Neiges, décoré de jolis objets et de plantes. « Tout le monde lui dit qu’il a rajeuni de quelques années », renchérit sa femme, en versant le thé. Malgré tout ce qui leur est arrivé, les Ramadan, d’une affabilité désarmante, trouvent le moyen de rigoler.

Au mur derrière eux sont collés des bouts de papier avec des mots en français et leur traduction en arabe : « Je t’aime », « Tu es belle » et… « Je vais dormir ». Demain, après une bonne nuit de sommeil, ils retourneront à l’hôpital visiter leur petit miracle.

Parrainage privé: le libre choix

Contrairement aux parrainages publics, la vulnérabilité des personnes prises en charge n’est pas une figure imposée dans le cas d’un parrainage privé. En clair: un individu qui veut parrainer via un groupe de 2 à 5 ou un organisme (comme par exemple une église) est libre de choisir. Le frère d’un voisin, une personne rencontrée sur Internet ou en voyage... Pourvu que ce réfugié provienne d’un pays, en situation de crise humanitaire, reconnu par le Canada.

Mais attention: au Québec comme ailleurs au pays, ce parrainage doit être, bien sûr, approuvé en démontrant notamment qu’on a les ressources suffisantes. L’engagement des parrains dure généralement un an mais il peut excéder cette durée dans des cas exceptionnels, où l’on prévoit que l’intégration sera plus difficile. « Mais c’est rare », indique le ministère québécois de l’Immigration

Ailleurs au Canada, il existe le Projet d’aide conjointe, qui cible précisément les réfugiés « avec besoins particuliers », soit des personnes ayant subi des traumatismes physiques sévères (torture ou agressions sexuelles) et des mères de familles monoparentales avec plusieurs jeunes enfants. Dans ce programme, c’est l’État qui couvre les frais de subsistance (nourriture, logement, vêtements) tandis que le petit groupe d’individus (ou l’organisme privé) lui offre aide et support moral. L’an dernier, 49 Syriens et 82 non-Syriens ont bénéficié de ce programme, ce qui est somme toute très peu.

Parrainage public: des États généreux

En ce qui concerne les parrainages public, l’État est très généreux. Les quelque 40 000 que le Canada a parrainé depuis la fin 2015 ont été, selon la procédure établie, choisis sur la liste du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, qui donne la priorité aux personnes vulnérables (LGBT, mère monoparentale, personnes handicapées, etc.) Même la loi fédérale proscrit la discrimination sur la base de la vulnérabilité. En 2002, des modifications à Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés a interdit au Canada de refuser des réfugiés ou des immigrants venus grâce au programme de regroupement familial (conjoints et enfants seulement) sous prétexte qu’ils représentent un « fardeau excessif » pour les services sociaux et les soins de santé.

Le Québec, qui gère lui-même son immigration en vertu d’une entente avec le fédéral, fait aussi largement sa part. Dans une sortie à la cabane à sucre l’an dernier dans la région de Saint-Hyacinthe, Le Devoir avait constaté que parmi la cinquantaine de réfugiés syriens présents, il y avait des enfants handicapés, des personnes amputées et des familles très nombreuses, peu éduquées. Ces gens faisaient partie des quelque 2000 réfugiés que le Québec a choisi de prendre en charge et qui ont été réinstallés un peu partout dans la province, dans l’une des 14 villes désignées.


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