Menacée d'expulsion, la militante Azizi est arrêtée

La militante iranienne qui devait être expulsée le 28 février prochain a été arrêtée mardi par l’Agence des services frontaliers du Canada pour motifs de « risque de fuite ». L’agent au dossier soupçonnait que Roghayeh Azizi Mirmahaleh, qui craint d’être détenue et emprisonnée à son arrivée en sol iranien, ne se présentera pas à l’aéroport Trudeau le jour de son expulsion, mardi prochain, a rapporté son avocate Me Stéphanie Valois.
Aussitôt, des personnes en autorité se sont mobilisées : la ministre québécoise de l’Immigration, Kathleen Weil, a demandé à son homologue au fédéral, Ahmed Hussen, de permettre à Mme Azizi de rester, « d’un point de vue humanitaire ». Ont fait de même au fédéral le député libéral Marc Garneau, élu dans la circonscription Notre-Dame-de-Grâce–Westmount, où réside Mme Azizi, et la députée néodémocrate Hélène Laverdière, qui devait organiser d’urgence une conférence de presse aujourd’hui. Le maire de Montréal, Denis Coderre, et le député de Québec solidaire Amir Khadir ont également tenté de faire bouger le dossier.
En larmes, Sahar Bahrami, la fille de Mme Azizi, a confié au Devoir qu’elle était en état de choc. « Je suis vraiment inquiète. Ma mère a dit qu’elle avait une douleur à la poitrine et a besoin de ses médicaments. Je ne me le pardonnerais jamais s’il lui arrivait quelque chose », a lancé la jeune femme, qui fait un postdoctorat en physique à l’Université McGill.
Elle explique que sa mère, qui a déjà été emprisonnée et torturée dans les années 1980 parce qu’elle militait contre le régime, sera en proie à un grand stress dans le centre de détention d’immigrants de Laval où elle a été emmenée. « Elle ne supportera pas d’être en prison. »
Arrestation impromptue
Roghayeh Azizi Mirmahaleh ne se doutait pas qu’elle serait arrêtée lorsqu’elle s’est présentée mardi midi aux bureaux d’Immigration Canada à Montréal. Sa fille et son avocate, qui l’accompagnaient, ont d’abord été écartées de l’entretien privé, puis seule Me Valois a été admise. Au terme de cette rencontre d’une heure, durant laquelle Mme Azizi a réitéré ses craintes d’être malmenée par le régime iranien, l’agent à son dossier l’a formellement arrêtée. La dame, qui souffre d’hypertension et de diabète, a ensuite été placée en détention préventive au centre de Laval, sans qu’elle ait pu revoir sa fille ou prendre ses médicaments.
« Ma mère a toujours collaboré avec les autorités. Elle n’a jamais enfreint la loi et n’avait aucun plan pour s’échapper », a expliqué sa fille, visiblement très bouleversée. « Elle avait espoir que les choses s’arrangeraient et que le gouvernement changerait d’idée. » L’avocate Stéphanie Valois semble tout aussi médusée par son arrestation. « Ce n’est pas quelqu’un qui va vivre dans la clandestinité, elle a 60 ans et elle a besoin de soins médicaux. Sa fille ne va pas la cacher. Et elle ne parle ni anglais ni français… », rappelle Me Valois. « Je ne sais pas si c’est en réaction à l’attention médiatique qu’elle a eue. »
Amir Khadir croit aussi à cette dernière hypothèse. Il croit surtout à une erreur, un excès de zèle, et s’attend à ce que cette « procédure inutilement grossière » soit corrigée sous peu. « En quoi vous pouvez reprocher à une personne qui craint pour sa vie d’aller le dire aux médias ? Il n’y a aucune raison d’être fâché. »
Une vie difficile
Entourée de personnes qui la soutiennent, Mme Azizi a tenu une conférence de presse lundi pour implorer le gouvernement canadien de surseoir à son renvoi. Cette enseignante au primaire y a évoqué son passé difficile, la prison et la torture qu’elle a subies il y a 30 ans avec son mari, qui a quant à lui été exécuté durant sa détention.
Préoccupée par les droits des femmes et des enfants, Mme Azizi dit avoir milité pacifiquement au sein de Mujahedin du peuple, une organisation que le Canada a mise sur sa liste des organisations terroristes à la fin des années 1990, puis retirée en 2012. C’est parce qu’elle a été membre de cette organisation que Mme Azizi a vu sa demande d’asile refusée par le Canada. Elle a ensuite tenté de faire valoir que sa vie était en danger si elle retournait en Iran et a déposé une demande d’Examen de risque avant renvoi (ERAR). Mais elle a obtenu pour toute réponse un avis d’expulsion pour mardi prochain.
Amir Khadir croit que le Canada devrait imposer un moratoire pour les expulsions vers des pays comme la Chine et l’Iran, qui ont des régimes autoritaires où la peine de mort est en vigueur. « Ça va de soi ! Si Raif Badawi trouvait le chemin de la libération et venait ici au Canada en faisant une demande de réfugié, est-ce qu’on penserait une seconde à le renvoyer en Arabie saoudite ? »
Et maintenant ?
Selon Me Valois, la loi prévoit que sa cliente doit passer devant la section d’immigration de la Commission d’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) dans les 48 heures suivant son arrestation, donc possiblement jeudi. Le commissaire décidera s’il y a lieu de prolonger sa détention jusqu’au jour de son expulsion. Mme Azizi est arrivée avec un visa de visiteur en 2012 pour vivre auprès de sa fille. Ses efforts pour régulariser sa situation n’ont, jusqu’ici, pas porté leurs fruits.
Les ministères de l’Immigration et de la Sécurité publique ont indiqué qu’ils ne commentaient pas les cas particuliers. L’attaché de presse du ministre Ralph Goodale a toutefois indiqué que ce dernier avait le pouvoir discrétionnaire de surseoir à un renvoi, mais que « le pouvoir de conférer un statut ou un permis de séjour revient au ministre de l’Immigration », a dit Scott Bradsley.