«Ma fille n'est pas à vendre»: la prostitution juvénile vue par Anaïs Barbeau-Lavalette

La prostitution juvénile est un sujet cruel et glauque. Anaïs Barbeau-Lavalette a voulu l’adoucir un peu. Pour aborder le phénomène de l’exploitation sexuelle, elle est passée par les mères des prostituées.
Elles sont donc quatre, ces femmes à qui on a « volé » un peu de leur enfant, à participer au film Ma fille n’est pas à vendre présenté lundi à Télé-Québec.
Quatre femmes dont l’adolescente a un jour disparu au hasard d’une fugue, pour resurgir le corps habité de souvenirs douloureux, peut-être indélébiles. Quatre femmes dont l’ennemi est sournois et puissant, et qui prend souvent le visage d’un proxénète séducteur. Ça n’est pas seulement parce qu’elle est nouvellement mère d’une petite fille qu’Anaïs Barbeau-Lavalette a décidé d’aborder le thème sous cet angle. « C’est parce que j’ai une fille, et que j’ai une mère, et que j’ai été une adolescente, et je pense que ça aurait pu m’arriver. Avant de rencontrer le sujet dans son coeur, j’avais beaucoup de préjugés, je pensais que ça arrivait surtout dans les centres jeunesse, au coeur de familles mal outillées. Mais en plongeant dans le sujet, je me suis rendu compte que pas du tout, ce sont des profils qui ressemblent à ma famille ou à n’importe quelle famille », dit-elle.

Lorsque la maison de production Bazzo Bazzo a pris contact avec elle pour lui offrir de réaliser ce film sur le Québec, plaque tournante de l’exploitation sexuelle, Anaïs Barbeau-Lavalette n’a pas voulu se perdre dans les débats théoriques de ce sujet très complexe.
« Je n’avais pas le goût de faire un film de têtes parlantes, d’experts qui se prononcent sur un phénomène social. Je me suis dit : comment faire quand même un film personnel, faire en sorte non seulement que ça me touche, mais que ça touche tout le monde, que ça cesse d’être le problème des autres ? »
La première scène du documentaire illustre bien la délicatesse du sujet. On entend la voix hors champ d’une jeune fille, dont le ton est chargé d’agressivité, que sa mère vient chercher au centre jeunesse.
La jeune fille a été interceptée alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre Calgary et donc, vraisemblablement, à être vendue à un autre proxénète.
Sarah, la seule jeune fille rencontrée dans le documentaire à visage découvert, a elle aussi failli prendre ce chemin.
Elle avait déjà un faux passeport lorsque la police l’a rattrapée, après que son cas eut été médiatisé, en février dernier, avec d’autres disparitions survenues au centre jeunesse de Laval. Lorsqu’elle a été retrouvée par la police, Sarah était entourée de proxénètes. Pourtant, c’est la seule à avoir été arrêtée.
Le documentaire la suit alors qu’elle a retrouvé sa famille, sa mère et sa grand-mère, et qu’elle tente de reprendre le contrôle de sa vie.
Le film a pour toile de fond la décision du gouvernement Trudeau d’amender le projet de loi C452, qui vise à responsabiliser les proxénètes pour l’exploitation sexuelle et renverse vers eux le fardeau de la preuve.
« Une personne qui vend du pot encourt une peine plus importante que quelqu’un qui exploite sexuellement » des mineurs, dit Anaïs Barbeau-Lavalette.
Le projet de loi fait en sorte que la police peut engager des poursuites contre les proxénètes sans que les prostituées exploitées soient obligées de porter plainte.
Il prévoyait aussi des peines contraignantes pour les exploiteurs, c’est-à-dire que les peines pour différents chefs d’accusation pouvaient s’accumuler.
C’est ce dernier aspect du projet de loi que le gouvernement Trudeau a voulu amender, ramenant du même souffle à zéro un débat qui a été entamé en 2012.
« Entre-temps, il y a d’autres filles qui tombent », poursuit Anaïs Barbeau-Lavalette. Le documentaire se clôt d’ailleurs sur un appel à signer une pétition pour que soit rétabli le projet de loi Mourani.
La nécessité pour les prostituées de porter plainte contre leur proxénète est d’autant plus périlleuse que ces filles sont souvent amoureuses de cet homme, ou encore en ont carrément peur. Difficile, dans ces conditions, de distinguer le consentement de la coercition par manipulation.
Dans le documentaire, Sarah admet qu’elle a été « naïve ». C’était, dit-elle, « de la manipulation totale » « et j’ai cru à ça… ».
Pour les filles entraînées dans la prostitution, il est pénible de se remémorer certains mauvais souvenirs. Il est d’autant plus ardu de les décrire dans une déposition qui devra être répétée à trois ou quatre reprises…
Typiquement, explique Anaïs Barbeau-Lavalette, le proxénète fait vivre une lune de miel à sa proie, avant de la désensibiliser à la sexualité en lui présentant divers partenaires, voire en la soumettant à un viol collectif, avant de lui proposer de se prostituer.
Pour réaliser ce film, Anaïs Barbeau-Lavalette s’est aussi rendue dans des centres jeunesse. Les filles qui rechutent dans la prostitution y sont envoyées à un étage particulier où l’encadrement est plus serré.
« Ça ressemble à une prison », dit Anaïs Barbeau-Lavalette. Une mère raconte par exemple qu’elle ne pouvait pas y serrer sa fille dans ses bras. « Elles ont droit à cinq minutes de téléphone par semaine », raconte-t-elle aussi.
Les centres jeunesse sont aussi un lieu propice pour entrer en contact avec le milieu de la prostitution. Sur un groupe de douze filles au centre jeunesse, raconte Sarah, neuf avaient déjà fait de la prostitution et partageaient leurs souvenirs agréables avec les autres.
Anaïs Barbeau-Lavalette explique pour sa part que les proxénètes sont littéralement « parqués autour des centres jeunesse. Certains ont leur appartement en face ».
Mais plusieurs des jeunes filles citées dans le documentaire ont eu leur première expérience de prostituée avant de séjourner en centre jeunesse. Plusieurs ont été recrutées tout simplement sur Facebook. C’est ailleurs qu’il faut chercher la faille.